Le 18 juillet 2016
Blake Edwards revisite le film noir en un exercice de style virtuose.
- Réalisateur : Blake Edwards
- Acteurs : Lee Remick, Glenn Ford, Stefanie Powers
- Genre : Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Editeur vidéo : Sidonis Calysta
- Durée : 2h03mn
- Titre original : Experiment in Terror
- Date de sortie : 2 septembre 1962
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– Sortie DVD : le 4 mai 2016
Résumé : Un psychopathe harcèle une employée de banque. Il ne lui laissera la vie sauve qu’à la condition qu’elle détourne une forte somme d’argent à son profit. La victime fait appel à l’inspecteur John Ripley.
Notre avis : Comme il l’a fait ou le fera pour le western (Deux hommes dans l’Ouest, le burlesque (La Panthère rose, The Party) ou la comédie sophistiquée (Diamants sur canapé, Victor Victoria, Blake Edwards revisite le « noir » à sa façon, c’est à dire à la fois en en respectant presque à la lettre les topoï et en le réinventant par une mise en scène très maniérée. Le scénario lui permet de conserver les lieux communs : deux jeunes filles en danger, un psychopathe, un membre du FBI, des fausses pistes, un indic, tout y est, jusqu’à la caricature, ou plutôt jusqu’à l’abstraction, puisque ces divers éléments restent à l’état de donnée jamais développée. Ainsi le flic, interprété par un Glenn Ford à la limite de la transparence, n’est jamais autre chose qu’un flic : ni psychologie, ni vie personnelle, ni sentiment. Tout se passe comme si Edwards avait ôté toute chair à son intrigue pour n’en conserver que le squelette sur lequel il brode d’infinies variations.
Un peu à la manière de Flaubert qui voulait écrire un « livre sur rien », le cinéaste fait de Experiment in terror un exercice de style, extrêmement brillant, parfois audacieux et toujours maîtrisé, sans pour autant sacrifier la tension propre au genre. C’est un festival de cadrages incongrus (la caméra est sous un piano, dans un camion de fonds, elle enregistre en gros plan le poing d’un judoka ou la lampe d’un ouvreur, etc.) qui peuvent donner l’impression de gratuité, de même que certains effets de montage (à une menace téléphonique succède le cri d’un plongeur) et la multiplication de plongées / contre-plongées. Mais selon nous Edwards a gardé une cohérence grâce à un travail exigeant sur les lieux : on pourrait avancer que chacun a son style ou sa caractéristique, tant les séquences, longues en général, sont vécues comme des moments quasi-autonomes ; l’église et sa symétrie, la banque et ses grandes lignes horizontales … De même dans les scènes d’anthologie répond-il à des gageures singulières : l’atelier de mannequin et le stade, à la fin, posent des problèmes à part. Comment investir de tels lieux de manière originale ? Cette question, on a le sentiment que le réalisateur ne cesse de se la poser et d’en tirer des réponses spectaculaires.
La séquence du stade vient après celle de la boîte, qui a déjà joué avec les mouvements de foule. Edwards multiplie les points de vue et les « écrans » (télé, jumelles, pare-brise d’hélicoptère), redoublant en quelque sorte le spectacle, et, en un montage efficace, installe une tension qu’il clôt par une fusillade dépouillée, presque ascétique.
La séquence des mannequins est encore plus impressionnante : dans l’atelier surchargé, Nancy Ashton travaille un peu, puis va dans sa chambre et se déshabille. À ce canevas modeste Edwards imprime à la fois une tension remarquable, aidé par la musique de Mancini, et une esthétique originale, qu’on pourrait qualifier de baroque ; ainsi de plongées qui sont à peu près le point de vue des mannequins suspendus et appellent en écho la découverte du corps, ou le plan dans lequel elle se regarde dans un miroir, avec entre elle et nous un ornement complexe. Les obstacles se multiplient d’ailleurs dans toute la séquence, la transformant en petit film stylistiquement indépendant. On peut même penser que certains détails n’ont aucune valeur scénaristique et sont présents uniquement en tant qu’élément de mise en scène ; voir le beau travelling sur les mannequins qui aboutit à la présence du psychopathe. De même, si Nancy peint la tête d’un mannequin, ce n’est que pour aboutir au gros plan de cette même tête qui pivote, comme le fera le méchant camouflé.
Il n’y a pas dans Experiment in terror de scènes gratuites, ou alors elles le sont toutes ; chacune est un travail d’orfèvre, aux détails soignés, qu’on n’en finirait pas de décrire ; avec son brillant chef-opérateur, Philip Lanthrop, Edwards sculpte la lumière pour aboutir à des effets singuliers, discrets ou voyants (Lee Remick éclairée en permanence dans la boîte) et crée des oppositions terme à terme , par exemple entre la blancheur aseptisée de la banque et le fouillis sombre de l’atelier. Le film est ainsi un joyau visuel, inventif en diable, dont le miracle est qu’il se suit avec plaisir, tant les péripéties sont traitées avec respect, sans second degré ou parodie. C’est qu’au fond il enregistre la fin d’un genre, épuisé par une production abondante et la lassitude du public, et le revivifie en un geste maniériste qui n’est pas sans évoquer ce que Leone a fait du western. Magistral, indispensable.
Les suppléments :
Dans son intervention de 25 minutes, Bertrand Tavernier parle de sa première vision du film et de ses appréhensions à le revoir, mais l’analyse qui suit entre réserves (plans trop alambiqués, trous du scénario) et enthousiasme (musique, photo, interprétation en particulier de Ross Martin) est, comme d’habitude, aussi fine que subjective. Tout aussi habituel dans la collection, Patrick Brion part d’une citation de Blake Edwards pour justifier les recherches esthétiques du film, ce qui fonde sa lecture sur la prééminence de l’intrigue (8 minutes). Enfin François Guérif explicite le titre et détaille son amour de Allo … Brigade spéciale, revenant sur ses caractéristiques « noires ». On y apprendra notamment la possible origine de Twin Peaks (18 minutes). Bien sûr, la galerie photos et la bande-annonce garnissent également ce beau DVD.
PS : Tavernier dit s’être toujours demandé ce que donnerait une poursuite dans un embouteillage ; or la séquence existe, dans Traqué, de William Friedkin.
L’image :
Superbe ! La restauration magnifie toutes les nuances d’un somptueux noir et blanc, sans parasites. Le grain a été réduit au minimum ; les puristes s’en offusqueront peut-être, mais le confort visuel est indéniable.
Le son :
Trois pistes sont proposées : VF, VOST 2.0 et 5.1. Toutes trois sont impeccables, sans souffle ni saturation, et restituent fidèlement aussi bien les nombreux dialogues que la belle musique ou … la respiration du psychopathe.
Galerie Photos
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