Le 17 juin 2017
Hawks retrouve Cary Grant pour une comédie folle, dont le charme évident cache une réflexion puissante sur la place de l’homme moderne.
- Réalisateur : Howard Hawks
- Acteurs : Cary Grant, Ann Sheridan
- Genre : Comédie, Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Twentieth Century Fox France
- Durée : 1h45mn
- Date télé : 30 décembre 2019 22:35
- Chaîne : Arte
- Titre original : I Was a Male War Bride
- Date de sortie : 21 décembre 1949
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Résumé : Les amours mouvementées et rocambolesques de deux agents secrets, l’un français, l’autre américain, en mission en Allemagne en 1945.
Notre avis : Allez coucher ailleurs s’inscrit dans la carrière de Hawks à la fin de la miraculeuse décennie qui l’a vu réaliser La dame du vendredi, Le port de l’angoisse ou La rivière rouge, liste non exhaustive de merveilles ; c’est aussi la décennie des genres différents, du western à la comédie, ce que confirmeront les années 50 en ajoutant la science-fiction et le péplum. Dans cet ensemble foisonnant, les comédies pétillantes ont la faveur des cinéphiles et, parmi elles, celle-ci brille d’un éclat singulier par sa richesse thématique, mais encore parce que Cary Grant y trouve un rôle ambigu qui interfère aujourd’hui avec ce que l’on sait de l’acteur.
Pourtant, la première qualité du film est de faire rire : hilarant d’un bout à l’autre, il utilise tous les types de comique, des mimiques aux situations farcesques, avec une évidente prédilection pour les dialogues : comme à l’habitude chez Hawks, ils sont rapides et piquants, et constituent l’essentiel d’une œuvre quasiment sans musique.
Superficiellement, Allez coucher ailleurs parle d’un couple qui apprend à s’aimer en remplissant une mission pour l’armée, dans le cadre de l’Allemagne en ruines, puis peine à vivre sa nuit de noces à cause des tracasseries administratives.
Superficiellement, car le scénario prend eau de toutes parts : la mission est expédiée, il y a peu, très peu de rebondissements, sans parler des incohérences (Rochard, qu’incarne Cary Grant, est un Français qui ne comprend que l’anglais). Ce qui intéresse le cinéaste est ailleurs, dans une réflexion sur la guerre des sexes (Ann Sheridan parle d’ « antagonisme des sexes ») : Hawks n’imagine l’amour que comme un combat, dans lequel la femme mène le jeu. Et c’est un festival : Catherine conduit la moto, décide du baiser, les sauve d’une chute, le camoufle en femme, bref, c’est elle qui agit, elle qui ordonne et qui sait. L’homme ne peut qu’obéir, malmené par les événements et par le monde qui l’entoure.
Au fond, le film parle de l’homme moderne inadapté, agressé par tout ce qui l’entoure. Le roi est nu, une fois ces attributs virils déréalisés. Les objets mêmes se dressent contre lui, des poignées de porte au side-car démonté et son apparence elle aussi est contestée puisqu’il est contraint de se travestir. Quant à son incapacité à dormir dans un lit, scène qui se répète avec des variations très fines, elle est la métaphore de son impossibilité de consommer la nuit de noces. Infantilisé et soumis malgré de médiocres tentatives de rébellion, il incarne le mâle castré ou frustré indéfiniment (voir l’incroyable réplique : « je ferai couler l’eau froide », quand il doit dormir dans la baignoire et seul). Ce qui est un ressort de comédie est également un constat machiste sur la dégradation virile. En effet, s’il commence en officier digne, il se déguise ensuite en « costume traditionnel » ridicule, puis en vient à imiter grossièrement la femme. De même son corps, "normal" au début, est-il suspendu, tordu, enserré, et ses mains semblent à deux reprises des éléments étranger.
Mais la satire s’exerce aussi sur le monde moderne en lui-même : multiplication des acronymes (l’hilarant décryptage de « ladies »), paperasserie surabondante, incohérences de l’armée … Un monde qui ne cesse d’empêcher de vivre et d’aimer. Kafka n’est pas très loin, avec son univers abscons et destructeur. On a beau être dans une comédie, Rochard est constamment en danger : sur une barrière de passage à niveau, sur un auvent, au bord d’une chute d’eau ou dans une meule de foin, il retrouve le héros burlesque aux prises avec des éléments qui le dépassent.
Allez coucher ailleurs est un modèle de film classique : mise en scène transparente (ce qui ne veut pas dire inexistante, tant au contraire elle garde la bonne distance sans affectation), dialogues très écrits, soigneusement affûtés, et scénario construit avec rigueur. Sans vouloir sacrifier à l’énumération, on est saisi par les rimes internes qui émaillent le métrage : les réactions différées de Cary Grant, par exemple, ou cet écho amusant quand, après avoir échappé à la chute d’eau, Rochard nomme « Niagara » le bébé qu’on lui a confié. Bien d’autres structurent le film en tressant un réseau serré de correspondances. C’est l’un des charmes de cette œuvre infiniment plaisante, joyeuse et sophistiquée qui joue à la fois le superficiel et le profond, en un maelstrom étourdissant. Grandiose.
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