Rien à dire, tout à montrer
Le 13 septembre 2022
Une expérience fascinante du relief, mais une œuvre volontairement hermétique. Godard nous donne des mots, des phrases, des images, une expérience fascinante du relief, mais l’œuvre dans son ensemble reste volontairement hermétique.
- Réalisateur : Jean-Luc Godard
- Acteurs : Héloïse Godet, Zoé Bruneau, Kamel Abdelli
- Genre : Drame, Expérimental
- Nationalité : Français
- Distributeur : Wild Bunch Distribution
- Editeur vidéo : Wild Side Video
- Durée : 1h10mn
- Titre original : Adieu au Langage
- Date de sortie : 21 mai 2014
- Festival : Festival de Cannes 2014
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Résumé : "Le propos est simple. Une femme mariée et un homme libre se rencontrent. Ils s’aiment, se disputent, les coups pleuvent. Un chien erre entre ville et campagne. Les saisons passent. L’homme et la femme se retrouvent. Le chien se trouve entre eux. L’autre est dans l’un. L’un est dans l’autre. Et ce sont les trois personnes. L’ancien mari fait tout exploser. Un deuxième film commence. Le même que le premier. Et pourtant pas. De l’espèce humaine on passe à la métaphore. Ca finira par des aboiements. Et des cris de bébé."
Critique : Adieu au langage est peut-être le premier film de cinéma qui perdrait tout son sens et tout son intérêt à ne pas être vu en 3D. Le principal choc, c’est l’utilisation plastique, esthétique, artistique que Jean-Luc Godard fait du relief. Toujours prêt à jouer avec les formes du cinéma, et après avoir notamment, dans toute son œuvre, trituré le son autant pour en tester les limites que pour s’en amuser, le cinéaste explore la troisième dimension comme un nouveau médium, un nouveau moyen d’expression et un nouveau terrain de jeu.
D’une part des images superposées, l’une pour l’œil droit, l’autre pour l’œil gauche, de manière à ce que notre perception se trouble comme dans un fondu d’un nouveau genre ; d’autre part le détournement des couleurs, des filtres et des pixels, qui s’oppose à l’utilisation hollywoodienne de la 3D ; enfin des prises de vue auxquelles le relief apporte une formidable beauté (on pense par exemple à cette image d’une femme derrière un grillage) : le film ressemble plus à une peinture en mouvement qu’à une œuvre narrative. Il faut souligner que certaines images ont une véritable puissance esthétique, et semblent même parfois donner une nouvelle dimension à l’art de la vidéo.
Dommage alors que le contenu du film soit une litanie de formules et d’aphorismes, parfois intéressants, mais trop vite remplacés par les suivants pour que le spectateur puisse vraiment y réfléchir. Et comme il est bien ardu de trouver ce qui lie les mots et les images, les mots entre eux, les images entre elles, le spectateur devient passif, victime d’une énumération de thèmes sans résonance, comme une superposition aléatoire d’idées souvent intéressantes, mais écrasées les unes par les autres, en un pot-pourri duquel le sens s’efface à mesure qu’il s’enrichit.
Il y a donc 1. la nature et 2. la métaphore. Il y a "Ah Dieu" et "Oh langage". Comme l’opposition de ce qui nous dépasse, de ce qui existe avant nous, après nous, en dehors de nous (la nature, Dieu), et de ce que nous en saisissons, du sens que nous essayons de donner à tout cela (la métaphore, le langage). Il y a le film de Godard, tel qu’il existe, et par-dessus, le sens que le spectateur essaie de saisir ou de fixer, une collection de mots et de phrases posés sur les images et qu’il nous faut essayer de réunir, de faire parler. Le langage.
Le film de Godard semble être en effet un adieu au langage. Prôner un retour à la réalité brute, au regard d’un chien dans lequel il n’y a que de l’existence, et aucun langage, donc aucune pensée construite. Il s’agirait donc d’un film qui ne fait qu’exister, et voudrait nous dire qu’il faut oublier ce qu’il a à dire, et ce que tout a à dire, pour se concentrer simplement sur l’expérience, la nudité du vrai. À force de parler, jouer, intellectualiser (jusqu’à la nausée, voir Film Socialisme), le réalisateur s’est trouvé confronté à un paradoxe : la signification se dissout, les formules se vident, et il ne reste qu’une possibilité : abandonner le sens, les signes porteurs de sens.
Adieu au langage comme le bout d’une route qu’on a explorée et qui finit, à force de vouloir tout expliquer, tout signifier, par se mordre la queue, par s’effacer d’elle-même. Comme une réflexion qui ne peut aboutir, un miroir donné à l’impossible communication des idées, à l’impossibilité de s’exprimer ou de se faire comprendre véritablement.
Au bout du bout du sens, au bout du bout des symboles, il ne reste que des signes qu’on ne peut plus déchiffrer. Ce signe pour Godard, arrivé au bout de ses réflexions formelles, c’est ce film, qui ne veut plus rien dire que lui-même, auquel il ne reste plus que des mots et des phrases. On reste interloqué devant cette œuvre volontairement absconse, curieuse et ennuyeuse, hypnotique et assommante, qui refuse de nous parler, de se constituer en langage, comme l’adieu de l’image au sens qu’elle porte.
Le film sortira le 3 décembre en DVD chez Wild Side.
– Sortie DVD : le 3 décembre 2014
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