Contes de l’an mil et hommage aux poètes
Le 19 mars 2003
Deux ouvrages pour montrer l’étendue d’une palette sauvage et subtile, charnelle et sublimée.


- Auteur : Pierre Michon
- Editeur : Verdier
- Genre : Roman & fiction

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Chroniques du Haut Moyen Age et essai littéraire... L’auteur de Vies minuscules démontre en deux ouvrages l’étendue d’une palette sauvage et subtile, charnelle et sublimée.
Déjà récompensé par le passé pour Vies minuscules (en poche chez Folio) ou La Grande Beune, Pierre Michon a récidivé l’an dernier en recevant le prix Décembre pour ses deux derniers ouvrages, deux sarments de textes secs et brûlants, qui crépitent à l’oreille et qu’on aurait rêvé se faire raconter.
Abbés rassemble trois récits sombres, lumineux, célestes et barbares. Tous se situent à l’époque médiévale, au temps des premiers Capétiens, où le roi de France fait encore petite mine parmi ses "vassaux" ombrageux qui ont pour surnoms Tête d’étoupe, La barbe torte, Longue épée... L’ordre bénédictin de Cluny étend son magistère "suave et implacable" aux confins du Grand Ouest, entre Normandie, Anjou et Poitou. Abbés et moines reconstruisent des chapelles, assèchent les marais de St-Michel, exhibent à la foule des ossements sacrés. Mais les hommes sont sauvages et la forêt est sombre, les démons et les mythes luttent encore avec Dieu. Sur les entrailles d’une bête on bâtit un autel puis on le souillera du sang d’une suppliciée. Et dans la quête de gloire, le tutoiement des anges, la luxure et la mort sont étroitement mêlées.
Corps du roi se présente comme un essai, exercice d’admiration littéraire et genèse impossible de la poésie. Michon y reprend le concept de l’historien Kantorowicz - qui, pour aller vite, distinguait chez les monarques le corps réel (l’homme biologique, la personne et tous ses désirs) et le corps symbolique (la fonction royale, l’aura dynastique, le pouvoir quasi divin) - mais l’applique, au lieu de Valois et autres Bourbon, à quelques écrivains, ses grands ancêtres (ses "maîtres" ?) : Beckett, Flaubert, Faulkner, Villon, Hugo... A partir de leurs portraits, de fragments de leurs textes, de bribes biographiques revues et fantasmées, Michon tente de juxtaposer ce qui dans ses visions appartient au symbole ou à la chair, au "sac à merde" ou au Verbe mythifié.
"Mais qu’est-ce qui fait le roi ? Mais qu’est-ce qui fait Flaubert ? Wozu Dichter ? Pourquoi des poètes ?", questionne Michon tout en ayant renoncé à trouver des réponses. Car le mystère du texte reste inexpliqué. Mystère des images qui surgissent et qui frappent, comme le faucon gerfaut. Mystère des vers qui ressuscitent et s’imposent à la bouche pour honorer la vie, la mort et la beauté. Et qui échappent sans cesse à celui qui croît les maîtriser.
Pierre Michon, Abbés & Corps du roi, Verdier, 80 et 112 pages, 8 € chacun