Passés le premier choc et la digestion de la lecture, une question se pose. De quelle planète descend Rick Moody ? Qu’est-ce qui motive un type pareil à rédiger un ouvrage de cette trempe, modèle de texte non identifié mêlant autobiographie, romance et étude littéraire ? Rick Moody, révélation des lettres américaines ? Assurément oui. Mais quelle sorte de révélation ? A coup sûr, les démons à exorciser étaient nombreux et ont motivé cette écriture. Des ancêtres par dizaines portant le patronyme de Moody, inconnus ou célèbres, antipathiques ou non, mais qui ont forcément influencé la sensibilité de l’écrivain.

Rendez-vous en compagnie du père sur les routes américaines, à la rencontre des aïeux Moody dont le plus éminent s’appelle Joseph, l’homme au voile noir, immortalisé par Nathaniel Hawthorne dans une nouvelle. Joseph respire encore, respirera toujours. Malgré ce voile qui lui dissimule le visage et le monde, ce voile qui lui permet de se soustraire aux autres. Un personnage fascinant, fantasque, atypique et dément. C’est après cet aïeul que Rick Moody court tout au long de son récit. C’est lui qui permet l’introspection et le déchiffrage de ce pays gigantesque. C’est à travers ce voile qu’il réussit à s’autoanalyser, qu’il dissipe ses angoisses et ses galères d’alcoolique. Encore et toujours un clin d’œil à Joseph qui avait compris depuis longtemps que de contempler le monde avec un voile sur les yeux restait la solution miracle pour mieux se comprendre soi-même.

On navigue en permanence au cœur du cerveau encombré de Rick Moody, prisonniers de ses angoisses, coupable d’être ce qu’il est, incapable de se détacher des chaînes qui le ligotent aux siens. La généalogie des Moody, un arbre aux branches fatiguées ou pourries, éclaire cet ouvrage d’une lumière crue et violente. Et l’inévitable confrontation avec un passé encombrant, qui resurgit morceau par morceau, comme pour mieux enfoncer le clou de la lucidité au sein d’une conscience enfumée. Un récit indiscutablement déroutant qui, passé le choc de la surprise, vous envoie au tapis d’un ultime uppercut. Frappant.