Le 20 juillet 2023
Guillaume Brac tente d’échapper aux influences Rohmer/Rozier, mais son cinéma y revient ostensiblement, pour n’en garder que les apparences. Globalement ennuyeux, finalement assez vain.
- Réalisateur : Guillaume Brac
- Acteurs : Édouard Sulpice, Éric Nantchouang, Salif Cissé
- Genre : Comédie
- Nationalité : Français
- Distributeur : Arte
- Durée : 1h35mn
- Date télé : 1er août 2023 13:35
- Chaîne : ARTE
- Date de sortie : 21 juillet 2021
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Résumé : Paris, un soir au mois d’août. Un garçon rencontre une fille. Ils ont le même âge, mais n’appartiennent pas au même monde. Félix travaille, Alma part en vacances le lendemain. Qu’à cela ne tienne. Félix décide de rejoindre Alma à l’autre bout de la France. Par surprise. Il embarque son ami Chérif, parce qu’à deux c’est plus drôle. Et comme ils n’ont pas de voiture, ils font le voyage avec Édouard. Évidemment, rien ne se passe comme prévu. Peut-il en être autrement quand on prend ses rêves pour la réalité ?
Critique : Creusant le sillon du film de vacances, qui l’a, dès son moyen-métrage Un monde sans femmes, soumis à quelques influences (exemplairement, celles de Jacques Rozier et Éric Rohmer), Guillaume Brac semble avoir astucieusement prolongé l’article de Louis Skorecki, “Rohmer au pays des merguez”, écrit en 1987, lorsque l’histoire de L’amie de mon amie, sise à Cercy-Pontoise, avait valu au "grand Momo" quelques critiques sur l’absence d’une représentation multiculturelle de la France. Des Blancs partout, dans cette banlieue devenue un enjeu de société, à l’heure de la deuxième génération issue de l’immigration, c’était encore une manière de nier la réalité d’un fait contemporain.
En apparence, À l’abordage ne se situe plus dans le sillage du réalisateur, lequel proclamait sa foi dans le cinéma en tant qu’art occidental, au cours des années 1950 : ici, les protagonistes de cette diégèse sont deux jeunes Noirs. Autre distinction notable : le cadre de l’action, un camping, qui, par sa connotation populaire, se dissocie des lieux fréquentés par les personnages rohmériens. Comme on le sait, et à quelques exceptions près, les statuts socioéconomiques déterminent des circulations géographiques et des lieux de villégiature fortement dissemblables.
Le film s’offrant comme une comédie, la rencontre d’un piquet de tente et d’un automobiliste, malencontreusement échoué parmi une faune de gens dont il ne semble pas avoir les habitus, évoque bien sûr une célèbre saga de Fabien Onteniente. La comparaison avec Lanvin s’arrête là, d’autant qu’Édouard, étudiant en école de commerce, s’avère un personnage en retrait, par rapport à Félix et Chérif, deux potes en vadrouille, qui ont échappé à leurs contraintes professionnelles respectives, le premier ayant tâté le terrain auprès d’une vieille dame à laquelle il prodigue une assistance en tant qu’aide-soignant (la scène naturaliste est plutôt savoureuse), le second ayant décalqué le mensonge d’Antoine Doinel sur la mort de sa grand-mère, pour quémander quelques jours de congés à son patron. Ce dernier, pas dupe, surligne, par sa réponse, le trait d’une plaisanterie qui fixe la température de l’ensemble : ni trop chaud, ni trop froid. Mais cool. De cet entre-deux, dont les protagonistes incarnent jusqu’aux lexique et postures l’inconsistance aimable, le film ne se remet jamais tout à fait, abordant, sans jamais l’approfondir, la question sous-jacente de la discrimination (bien des scènes y renvoient), tout en ne perdant jamais de vue qu’il illustre un genre cinématographique : le "conte d’été", devenu tel depuis qu’en 1996, le chef-d’œuvre rohmérien en a fixé les canons, avec son art de capter les ambiances sonores, pleines de rires et de cris d’enfants, d’étirer les plans jusqu’à la rêverie ou la réflexion, de contraster les couleurs chaudes et froides au gré des fluctuations sentimentales. Sauf que chez Rohmer, comme Rozier, il y a plus que des effets formels en forme de pâles imitations ou la mise en scène d’un badinage élégant qui serait l’apanage d’une séduction à la française, mais une profondeur tragique au sens le plus originel du terme, et même métaphysique, liée à des figures intranquilles. Les personnages de Brac n’ont pas cette épaisseur-là et leurs paroles prolongent platement ce qu’ils sont et font, dans des configurations finalement attendues, jusqu’à la lourdeur : le running gag du sobriquet "chaton" asséné à Édouard, jeune homme visiblement couvé par sa mère, finit par assommer la patience du spectateur. Et quand ils se piquent de discours un peu plus dissertatifs, à la manière de, les échanges ne soutiennent pas la comparaison avec leur modèle inavoué -"les femmes, elles aiment pas les toutous", "si tu continues à être cruelle comme ça, tu deviendras une vieille sorcière"-, pas plus que l’inspiration ne vient à un jeune barbu à lunettes, angoissé par le devenir de l’humanité, au point qu’il n’en dort pas la nuit.
Plus le récit avance, plus les scènes, d’un véritable ennui, ont du mal à contenir l’intention du portrait générationnel, avec des fins résilientes en forme d’excuses, plutôt dans l’humeur d’un certain cinéma mainstream, où il n’est de bonne compagnie qui ne se réconcilie (en l’occurrence autour d’un karaoké).
À l’abordage ne dépasse pas l’exercice de style offert à des acteurs en formation. Le film a d’ailleurs été écrit pour des comédiens du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique. Il a été diffusé sur la chaîne Arte en mai 2021.
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