Cinéma en miroir
Le 25 juin 2010
Une pépite dans la carrière américaine du grand Maurice Tourneur qui nous livre une joyeuse et subtile mise en abîme du monde du cinéma.
- Réalisateur : Maurice Tourneur
- Acteurs : Robert Warwick, Doris Kenyon, June Elvidge
- Genre : Comédie dramatique, Film muet
- Nationalité : Américain
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– Durée : 1HOOmn
– Sortie aux Etats-Unis : 26 février 1917
Une pépite dans la carrière américaine du grand Maurice Tourneur qui nous livre une joyeuse et subtile mise en abîme du monde du cinéma.
L’argument : Une jeune femme tombe amoureuse d’un acteur charismatique venu tourner près de chez elle.
Notre avis : Maurice Tourneur avait largement fait ses preuves en France lorsque, quelques mois avant la déclaration de guerre de 1914, il s’installa aux Etats Unis. Il allait devenir très vite un des cinéastes qui, par leur talent, leur professionnalisme et le raffinement de leur mise en scène, apporteraient une dimension nouvelle, « européenne », à un cinéma pas encore hollywoodien.
En effet, c’est à Fort Lee, dans le New Jersey, et dans la campagne environnante qu’il tourne en 1916 A girl’ folly, un des nombreux exemples de films-miroirs, dans lesquels le monde du cinéma se regarde lui même, comme l’indique clairement le sous-titre : A movie romance.
En à peine plus d’une heure de projection, cette comédie au rythme trépidant fait se rencontrer plusieurs genres (y compris le burlesque lors d’une étourdissante chasse à la souris blanche dans un dortoir de jeunes filles) et plusieurs univers. Au début, des plans champêtres nous montrent la jeune paysanne assise sur sa véranda et rêvant d’aventures romanesques. Celles-ci se matérialisent à l’écran sous les traits d’une espèce de troubadour que les sollicitations intempestives du monde environnant font se volatiliser au grand dépit de l’héroïne. La description idyllique d’un monde rural estival est empreinte d’humour et de véritable poésie (irrésistibles gros plans de crapauds sur une mare ou de libellule sur le nez du grand-père). Mais l’héroïne, perdue dans ses rêves, semble ne pas avoir d’yeux pour toute cette beauté.
En parallèle nous assistons à l’agitation trépidante d’un studio de cinéma, où le travail revêt déjà un caractère nettement industrialisé mais encore très convivial : on dresse en deux minutes un décor de saloon, le metteur en scène montre à la jeune première comment sautiller d’un air insouciant, le valet de chambre signe les autographes à la place de la vedette et tout le monde se retrouve à la cantine. Cet aspect documentaire sur les conditions d’un tournage en 1916 est particulièrement précieux aujourd’hui, mais le film a bien d’autres atouts dans son jeu pour toucher encore un spectateur de 2010.
Lorsque les deux mondes se rencontrent et que la jeune paysanne se voit proposer une carrière cinématographique, l’oeuvre prend, par moments, un ton plus grave, sans jamais perdre pour autant sa touche de légèreté.
Deux séquences retiennent particulièrement l’attention. Dans l’une, on voit l’héroïne assister à ses premiers rushes en compagnie d’autres membres de l’équipe. Alors qu’elle semble épatée par sa performance, les visages des autres passent rapidement de l’enthousiasme au désappointement. Nous ne voyons pas ce que voient les personnages du film dans la salle de visionnement mais nous sommes priés de croire sur parole ce qu’on nous suggère : cette actrice débutante ne passe pas à l’écran. Or nous pouvons témoigner que Doris Kenyon, qui interprète le rôle, non seulement passe très bien mais, comme on dit, le crêve littéralement (l’écran) ! Expérience plutôt troublante donc, mais excitante, comme chaque fois qu’au cinéma la foi du spectateur est mise à l’épreuve.
L’autre séquence la montre, métamorphosée en femme du monde, accueillir sa mère venue inopinément lui apporter des cadeaux d’anniversaire en plein milieu d’une réception. Le contraste entre le langage et l’accoutrement frustes (pour ne par dire ploucs) de la mère avec l’ambiance sophistiquée de la fête est subtilement mis en évidence, sans que l’opposition entre le monde frivole de la ville et l’authenticité campagnarde soit lourdement soulignée comme il ne manquera pas de l’être chez Griffith (Way down east).
C’est sur un constat d’incompatibilité entre la jeune femme, finalement nostalgique de son village, et l’acteur blasé qui retournera à son ancienne compagne, que s’achève A girl’ folly. Une fin légèrement en demi-teinte qui achève de donner à ce film allègre et extrêmement attachant une vraie dimension humaine. Sa complexité psychologique et le raffinement visuel qui l’accompagne (Nous voyons parfois plusieurs actions dans le même plan) sont celles du grand cinéma européen des années 10, celui d’un Bauer, d’un Sjöström, d’un Caserini, et de bien d’autres. Maurice Tourneur et son compatriote Albert Capellani les ont apportés au cinéma américain.
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