Pour quelques dollars de plus
Le 14 février 2016
Présenté à la Mostra de Venise en 2014 et tout juste couronné du Grand Prix du festival américain de Deauville, 99 homes dresse un portrait sans concession d’un spéculateur immobilier cupide, interprété par Michael Shannon, profitant de la crise des subprimes pour s’enrichir.
- Réalisateur : Ramin Bahrani
- Acteurs : Laura Dern, Michael Shannon, Andrew Garfield
- Genre : Drame, Thriller, E-Cinéma
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Wild Bunch Distribution
- Durée : 1h42mn
- Date télé : 20 mars 2021 20:40
- Chaîne : OCS Max
- Titre original : 99 homes
- Festival : Festival de Venise 2014, Festival de Deauville 2015
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Sortie E-Cinéma : le 18 mars 2016
Présenté à la Mostra de Venise en 2014 et tout juste couronné du Grand Prix du festival américain de Deauville, 99 homes dresse un portrait sans concession d’un spéculateur immobilier cupide, interprété par Michael Shannon, profitant de la crise des subprimes pour s’enrichir.
L’argument : Rick Carver, homme d’affaires à la fois impitoyable et charismatique, fait fortune dans la saisie de biens immobiliers. Lorsqu’il met à la porte Dennis Nash, père célibataire vivant avec sa mère et son fils, il lui propose un marché. Pour récupérer sa maison, sur les ordres de Carver, Dennis doit à son tour expulser des familles entières de chez elles.
Notre avis : Ce sixième long-métrage du réalisateur Ramin Bahrani (Chop Shop - 2007, Goodbye solo- 2008) puise sa matière dramaturgique dans la crise des subprimes qui a ébranlé l’économie américaine en 2007. L’intrigue de 99 homes, dont le titre est une référence explicite aux 99% de laissés-pour-compte du mouvement Occupy Wall Street, se déroule dans la ville d’Orlando en Floride, l’un des épicentres du drame.
En choisissant Orlando, Ramin Bahrani ancre son film sur le terrain et choisit de dresser un portrait inversé du rêve américain. Les rues paisibles baignées de lumière, l’ombre portée de Disney World, les couleurs chaudes des bâtisses évoquent une prospérité tranquille qui va être ébranlée par une crise sans précédent. Bien loin l’idée pour le réalisateur d’aller filmer les banques qui ont octroyé des prêts sans garantie à des familles peu solvables. Il campe son histoire au cœur des quartiers résidentiels à hauteur d’homme.
Mené comme un thriller, 99 homes interroge avant tout la notion de territoire. Pour Rick Carver (Michael Shannon), il n’est qu’un objet de spéculation (il le dit lui-même « House is just a box »), pour Dennis Nash (Andrew Garfield), il possède une valeur sentimentale. Si Carver peut prétendre avoir trouvé en Nash une forme d’alter ego – tous deux sont, en un sens, les victimes désignées d’un Etat qui n’a favorisé que les 1% - Bahrani les présente bien vite comme des figures antinomiques.
Un système d’opposition et de démarcation se déploie tout au long du film et place les deux personnages à deux extrémités du modèle américain. Tout d’abord dans les attributs que le réalisateur leur confère : vêtu de ses habits de travail, Nash est présenté comme un col bleu tandis que Carver est l’homme d’affaires dans toute sa splendeur. Costume impeccable, mine parfaite, une e-cigarette élégante à la bouche. Nouveau riche, il colle ainsi parfaitement au décor d’Orlando, présumé idyllique. Il apparaît comme une vision fantasmée du self made man. Electron libre, individualiste et sans attaches, il n’a visiblement ni repère familial, ni demeure fixe. Michael Shannon donne force à son personnage jusqu’à l’évider de toute humanité. Il se mue alors en une figure métaphorique de la circulation de l’argent. A contrario, Nash est un terrien dans tous les sens du terme. C’est un sédentaire qui n’a connu qu’une seule maison, celle de ses parents. Il connaît le labeur et la valeur affective de la pierre. Deux visions se font face par le biais d’une habile différenciation d’approche du territoire et du gain.
A ce titre deux scènes illustrent parfaitement ce dispositif. La scène inaugurale nous présente le personnage de Rick en action, arpentant les couloirs d’une maison. Le spectateur découvre dans le reflet d’un miroir le cadavre d’un propriétaire qui vient de se suicider dans un élan de désespoir. Ce plan séquence inaugural est assez majestueux : la caméra suit le personnage de Rick qui ne cesse de se mouvoir comme le ferait un agent immobilier. Il se fait maître des lieux alors même que le corps de l’occupant n’a pas été évacué. Il s’égosille au téléphone et l’on comprend qu’il prépare déjà son affaire suivante. Tout en prenant le parti de dérouler la scène en temps réel, Ramin Bahrani nous signale, par ce procédé de mise en scène, que Rick ne vit que dans l’attente du futur, évacuant le temps présent d’un revers de main. Le temps c’est de l’argent, et le spéculateur immobilier l’a bien compris. Par cette habile entrée en matière, le réalisateur déclenche le compte à rebours dramatique du film. La deuxième scène est une sorte de contre-pied à la séquence d’ouverture. Dennis Nash, ayant cédé à la tentation de Carver, fait l’acquisition d’une maison plus luxueuse au détriment de la maison familiale. Le rejet de sa mère et de son fils est immédiat : ils voient dans cette demeure une trahison de leur héritage. Pour eux, cet espace sans âme n’évoque aucun souvenir, ne produit aucune image. Le luxe paraît n’être qu’en carton pâte. Nash regarde à son tour un reflet à travers une grande baie vitrée, celui de son fils.
Les scènes avec Dennis Nash et sa famille qui, expulsés de chez eux par ce même Rick Carver, ont élu domicile dans un hôtel de fortune sont le contrepoint moral du film qui pose la question du franchissement des limites. A plusieurs reprises, Carver évoque la société des gagnants contre celle des perdants. Le personnage de Nash est, à cet égard, révélateur puisque la relation qui le lie à Carver (à la fois patron/employé - oppresseur/opprimé) va le mettre face à sa propre fêlure morale et l’amener à se demander : jusqu’où irais-je pour quelques dollars de plus ?
Benoit Jacquot, président du jury de l’édition 2015 du festival de Deauville, lui a attribué le Grand Prix soulignant « la force dramatique du film et l’interprétation exceptionnelle des deux acteurs ». Prix mérité pour ce film qui, on peut le regretter, ne sera distribué qu’en VOD début 2016 sur les plateformes françaises.
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