Le porc-épic
Le 5 mai 2004
Le portrait percutant d’un écrivain orgueilleux, sans cesse en désaccord avec le monde.
- Auteur : Jean-Paul Kauffmann
- Editeur : Gallimard
- Genre : Biographie
- Nationalité : Française
L'a lu
Veut le lire
Un vrai personnage de roman que ce grand flandrin fort en gueule, pétri de contradictions, tour à tour timide ou arrogant jusqu’à l’hystérie, réfrigérant ou capable des plus grandes amitiés. Mais il a bel et bien existé, cet écrivain que Jean-Paul Kauffmann tire aujourd’hui d’un oubli qui peut apparaître comme une sorte de justice immanente au regard de ses faits et gestes, de son caractère intraitable, de son œuvre inclassable. Arrivés trop tôt ou trop tard, ses romans et ses autofictions sont restés irrémédiablement dans l’ombre des grands auteurs de l’époque. C’est que Raymond Guérin, en une quinzaine de "fictions", "mythes" et "confessions" - selon son propre classement - n’a cessé, de livre en livre, de "casser le moule", pulvérisant ce qu’il avait écrit auparavant pour aller toujours plus loin, car pour lui "chaque nouveau livre doit marquer un dépassement de soi". Difficile dans ces conditions de se constituer un lectorat... D’autant que l’homme qui se dit humblement autodidacte développe au fil de ses productions une manie de la persécution, jusqu’au refus total d’être jugé, mais par un de ces tours de passe-passe dont il a le secret ne se prive pas, vers la fin de sa vie, de livrer pour La Parisienne des critiques au vitriol à l’égard de ses pairs...
Pas aisé d’y voir clair dans cette figure hérissée de piquants, sans cesse en désaccord avec le monde. Jean-Paul Kauffmann, dans ce portrait fouillé qu’il fait de Guérin, avoue que le personnage parfois l’horripile. Mais il est peut-être le seul à pouvoir réellement comprendre quelle insondable souffrance masquaient ces outranciers comportements dont la clé se trouve dans Les poulpes, l’ultime ouvrage du mal embouché chronique. Les deux hommes ont fait la même expérience, celle de l’enfermement. Kauffmann, trois ans otage du Djihad islamique ; Guérin quatre ans dans un oflag. Et si l’un a toujours préféré "ruser en se servant d’autres objets", "écrire des livres (comme son Arche des Kerguelen, par exemple) pour [se] tendre des embuscades", il a l’empathie qui convient pour comprendre qu’un autre choisira la voie violente de la sincérité puissance mille, celle du tout-dire.
Car tel était le credo de Guérin, le Bordelais complexé, tôt sorti de l’école, ayant fait ses classes dans la restauration comme serveur [1], agent d’assurance de jour, écrivain de nuit : serrer au plus près sa propre vérité, sans pudeur. Se mettre à nu. Entreprise éprouvante d’un homme "libéré mais pas libre", dont la complexité et les paradoxes sont magnifiquement traduits par l’enquête biographique de Jean-Paul Kauffmann, qui de surcroît nous éclaire sur la vie littéraire de l’immédiat après-guerre et la place énorme qu’y prenaient Sartre, Camus ou Paulhan... Un ouvrage qui, osons l’espérer, donnera à l’éditeur de Guérin, Gallimard, l’idée de rééditer Les poulpes, son chef-d’œuvre depuis de longues années épuisé...
Jean-Paul Kauffmann, 31, allées Damour (Raymond Guérin, 1905-1955), Berg International/La Table Ronde, 2004, 350 pages, 20 €
[1] Cette expérience a inspiré la première fiction de Raymond Guérin, L’apprenti (1946), réédité en 2003 chez Gallimard dans la collection "L’Imaginaire"
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.