Des mesures qui s’imposent
Le 5 décembre 2007
Coup d’essai et coup de maître pour Jalil Lespert. Un film sombre, sans concession, d’une liberté et d’une maîtrise réjouissantes. Un surprenant chef-d’œuvre.
- Réalisateur : Jalil Lespert
- Acteurs : Benoît Magimel, Sami Bouajila, Lubna Azabal, Bérangère Allaux
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Date de sortie : 5 décembre 2007
- Plus d'informations : Le site officiel
L'a vu
Veut le voir
– Durée : 1h30mn
Coup d’essai et coup de maître pour Jalil Lespert. Un film sombre, sans concession, d’une liberté et d’une maîtrise réjouissantes. Un surprenant chef-d’œuvre.
L’argument : Helly, Didier, Marie et Chris : quatre jeunes gens que tout apparemment sépare... leurs destins vont brutalement se croiser un 24 décembre, au cours d’une nuit blanche qui fera basculer leurs vies... Helly, jeune mère qui tente de récupérer la garde de son fils, croise par hasard la route de Didier, un chauffeur de taxi. Puis brutalement celle de Marie, une provinciale mal dans sa peau.
Elles s’embarquent dans une étrange virée nocturne qui les conduira sur la côte normande jusqu’à leur rencontre avec Chris, un batteur de jazz. Ils finiront la nuit ensemble dans un dernier mouvement de fête, de libération...
Notre avis : Une femme nue (Lubna Azabal, époustouflante), à la beauté sans doute fanée par des années de drogues et de galères, promène son regard perdu de junkie autour d’elle. La pose est frontale et légèrement disgracieuse sans être impudique ni malsaine. Elle se redresse soudain, portée par la montée en puissance musicale du groupe de rock canadien A Silver Mt Zion, se rhabille et déambule dans un appartement lugubre, suivie par la caméra menaçante de Jalil Lespert. Elle tente désespérément d’obtenir l’argent de la passe qu’elle vient d’effectuer auprès d’un groupe d’hommes peu réceptifs à ses atermoiements. Se débattant comme un oisillon vulnérable, elle voudrait prendre son envol mais se retrouve projetée violemment au sol alors que la musique atteint son point d’orgue... Ceci est la scène d’introduction de l’impressionnant premier long métrage de Jalil Lespert. Le moins que l’on puisse dire c’est que le décor est planté avec maestria et efficacité.
C’est donc le point de départ de 24 heures (surtout 12 nocturnes) durant lesquelles un quatuor de personnages va jouer un requiem à la fois funeste et gorgé de vie. Quatre instruments, quatre soli se rejoignant dans un chœur palpitant. Ils se croisent, se frôlent, se percutent, s’attirent et se repoussent, comme les atomes évoqués par le voix sépulcrale d’Archie Shepp et symbolisés par un ballet d’oiseaux anthracites de bon ou de mauvais augure, selon les destins de chacun. L’envol et la libération, suggérés dès le début, sont les attentes primordiales de personnages désireux de s’arracher à leur triste condition humaine. Sur les quatre, deux y parviendront. Leurs noms sont déjà un présage de leur parcours. Chris (pour ne pas dire Jesus) et Marie atteignent le (septième) ciel tandis qu’Helly (hell) et Didier (martyr célèbre) restent en enfer. Ce dernier est un ange déchu qui a perdu ses ailes et s’extasie devant celle des avions s’enfonçant dans la nuit. Il est incarné par le désormais incontournable Benoît Magimel. Au passage, il est amusant de noter qu’au début de sa carrière, cet acteur ressemblait fortement au De Niro des années 70, par son sourire et son nez légèrement aquilin, et même si désormais l’analogie n’est plus frappante, il trouve là un rôle à la mesure de l’acteur américain. Le fait qu’il soit en plus taxi driver n’est sans doute qu’une coïncidence mais elle est agréable. Du reste, les quatre comédiens sont à l’unisson. Le talent mais aussi la prise de risque et le dépassement de soi étaient nécessaires pour faire vivre ces junkies de la vie en manque d’amour, qu’il s’agisse de celui d’un enfant confisqué, d’un père mort trop tôt, d’une mère acariâtre ou d’une femme perdue.
Mais ces interprétations, aussi brillantes soient-elles, seraient vaines sans la mise en scène inspirée et pertinente de Lespert. Le jeune cinéaste a agencé son film comme un morceau de free-jazz. Quoi de plus naturel pour des personnages en quête de liberté. Pour illustrer son propos, il choisit d’abord de les enfermer dans un cadre serré, au plus près de leurs visages usés, puis de les libérer dans des scènes faussement improvisées (comme chez Cassavetes). Toujours à l’image du free-jazz, ces plans-séquences mettent en avant des voix atonales ou dissonantes, et sont étirés jusqu’au vertige, voire jusqu’au malaise, créant une expérience cinématographique hors du commun dans laquelle le spectateur se laisse emporter par un tourbillon sensoriel, charnel et métaphysique rare. La musique de Jalil Lespert est une cacophonie terriblement séduisante et étonnamment maîtrisée. Une œuvre entre ciel et terre sur la force et l’insignifiance des êtres. Finalement ce n’est que la vie qui passe mais avec Lespert, cela devient le plus beau des spectacles.
Un chef-d’œuvre contenant de folles promesses pour son auteur et de futures grandes réjouissances pour le spectateur. Merci et bravo.
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.