Critique : Orwell n’a rien laissé au hasard. Dans ce recueil, tout est décidé dans le seul but d’imposer la pensée unique. Régime politique, règles de sociétés, mainmise sur la presse, changement de l’histoire – avec un grand H -, et même nouveau langage. Le Parti a mis en place un appareil destiné à survivre aux hommes qui l’ont créé, comme une sorte de Moloch auquel il faut faire des sacrifices humains. Winston est un rouage du parti. Mais il est traversé par une idée. Il sait qu’il ne devrait pas l’écouter, ni même l’entendre. Pourtant, une voix tourne et tourne dans sa tête. Si le monde avait été différent avant... l’avènement de cette structure ? Voire mieux...
Cette simple conviction, considérée comme un crime d’état, que la penséepol – ou police de la pensée - est chargée de détecter et de d’effacer, va pousser le protagoniste à sortir du moule. Il devra payer le prix de son indépendance d’esprit...
1984 nous laisse peu d’espoir. La lecture fascine en nous immergeant dans toutes ces techniques développées, pour réduire le monde en servage. Orwell prend le temps de s’attarder, d’expliquer les rouages. C’est bien la précision du système qui nous glace les sangs.
Plus de soixante ans après sa première publication, ce roman fonctionne toujours. Il n’a pas pris une ride. Car ce qu’il dénonce n’est pas qu’une dystopie. Cette dérive reste possible. Pas de manière aussi extrême, mais les mensonges gouvernementaux, la mise aux oubliettes du passé parfois récent, s’inscrivent dans le droit de fil de ce qui est énoncé par Big Brother, l’homme providentiel. Inutile de préciser que cette fiction n’a rien de rassurant, si l’on considère notre monde actuel.
Mais au-delà d’une organisation générale, il faut noter que Winston est un héros tragique. Sentant peser sur lui un destin inéluctable, il tente de se débattre. Nous suivons ses désirs, ses angoisses, ses craintes, ses rêves, ses défaites. Nous sommes avec lui et nous prenons conscience de la réalité d’un monde glauque à travers ses yeux.
Ce point de vue apporte toute son humanité au roman, qui n’est pas que la simple description factuelle d’un régime dictatorial. C’est ce mélange entre une société oppressante et un être humain en quête de sens qui fait de cette œuvre un classique de la science-fiction.

1984, construit sur une terrible vision du monde à venir, est un texte qu’il faut lire absolument, pour comprendre quels sont les pièges que nous tendent les totalitarismes. Mais surtout, ce récit nous renvoie à notre propre peur, celle de devenir un des rouages interchangeables d’un système pour qui l’humain n’a aucune valeur. Comment ça, c’est déjà le cas ? Chut, Big Brother is watching you...