De la difficulté de faire son deuil
Le 19 avril 2006
Une réflexion pertinente sur la nouvelle Afrique du Sud. Celle qui veut faire table rase du passé alors que les blessures laissées par l’apartheid sont encore profondes.
- Réalisateur : Ramadan Suleman
- Acteurs : Pamela Nomvete, Mpumi Malatsi, Kurt Egelhof
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Allemand, Sud-africain
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– Durée : 1h45mn
Une réflexion pertinente sur la nouvelle Afrique du Sud. Celle qui veut faire table rase du passé alors que les blessures laissées par l’apartheid sont encore profondes.
L’argument : Thandeka est une journaliste noire qui reste obnubilée par un drame : celui de l’assassinat de Dinéo, une militante anti-apartheid, par la police secrète. Alors que la nation Arc-en-ciel, qui a renoué avec la démocratie depuis deux ans, tente de s’offrir un avenir à travers la Commission vérité et réconciliation, Me’Tau, la mère de la victime, lui demande de l’aider à retrouver les restes de sa fille afin que son âme repose en paix.
Notre avis : Comment faire le deuil de son passé ? Thandeka - un rôle pour lequel son interprète Pamela Nomvete Marimbe a reçu le prix de la meilleure interprétation féminine au Fespaco 2005 - n’y arrive pas. Au point de se sentir une mère indigne envers sa fille Mangi, sourde et muette. L’apparition de Me’Tau, dix ans après les événements qui la hantent et deux ans après la fin de l’apartheid, vient amplifier ce malaise. Cependant, c’est l’occasion pour la journaliste d’affronter ses fantômes et surtout ses bourreaux. Des hommes de chair et de sang. Comme les souvenirs de Thandeka ou de ce qu’elle peut s’imaginer du sort réservé à son compagnon d’infortune - un ami photographe qu’elle avait fait recruter par sa publication - les flash-back que nous propose Ramadan Suleman sont flous. Un choix qui contribue à rappeler régulièrement au spectateur l’idée maîtresse de ce film. Les drames s’estompent avec le temps, mais laissent des traces indélébiles qu’on s’emploie à masquer, avec les moyens disponibles, pour continuer à vivre.
Dans le cas de l’Afrique du Sud, au lourd passé ségrégationniste qui se mesure en millions de victimes noires, c’est toute une nation qui doit se plier à cet exercice. Et Zulu love letter (motif perlé qui évoque l’aspiration à la beauté, l’amour et la paix chez les zoulous, entre autres) en montre quelques-unes des limites.
Par exemple, que certains comme Bruda D’(ami de Thandeka), qui en a presque perdu la raison, sont à jamais marqués. Que parfois le pouvoir, du moins de faire souffrir, est encore du côté des bourreaux d’hier. Même si l’Etat sud-africain s’emploie à instaurer plus d’équité. Et qu’enfin les préjugés, surtout ceux dont la véracité a été prouvée, ont la vie dure. Quand des Noirs chantent encore, en attendant de témoigner lors d’une audition de la Commission vérité et réconciliation, "les blancs sont des fauves". A raison parce que certains d’entre eux se sont conduits comme tels et continuent encore de le faire, vivre ensemble prend des allures d’utopie. Une utopie, qui depuis plus de vingt ans, se veut une réalité en Afrique du Sud au nom, notamment, de cette valeur zoulou qu’est l’Ubuntu [1].
L’Afrique du Sud compte tellement d’âmes dispersées qu’elle pourrait difficilement s’apaiser si elles ne le sont pas, constate Me’Tau. Une remarque qui met, encore une fois, en exergue le pragmatisme dont le réalisateur et scénariste sud-africain fait état à travers une œuvre qui joue beaucoup sur l’esthétique, figeant parfois les acteurs au détriment de la spontanéité, donc de l’émotion. Quand bien même elle vous rattrape du fait de la teneur du sujet traité. Car, pour lui, le passé ne s’efface pas d’un coup d’éponge, surtout si c’est un choix politique. Au total Zulu love letter s’apparente à une véritable réflexion cinématographique sur la résilience, cette capacité à se développer quand même, dans des environnements qui auraient dû être délabrants, une qualité qui n’est pas que l’apanage des Noirs sud-africains.
[1] Le terme renvoie à notre humanité commune
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