Femme en Iran
Le 24 février 2013
Quatre femmes dans la tourmente : état d’une révolution intérieure.
- Réalisateur : Shirin Neshat
- Acteurs : Orsolya Tóth, Shabnam Tolouei, Arita Shahrzad
- Genre : Drame
- Nationalité : Iranien
- Durée : 1h31mn
- Titre original : Zanan-e Bedun-e Mardan
- Date de sortie : 13 avril 2011
- Plus d'informations : http://www.kmbofilms.com/Actualites.html
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Quatre femmes dans la tourmente : état d’une révolution intérieure.
L’argument : Téhéran, 1953. Parce qu’elle refuse de prendre mari, Munis, 30 ans, est assignée à résidence par son frère Assad. Peu après, à l’issue d’une visite de son amie Faezat, la captive se suicide. Embarrassé, Assad l’enterre dans le jardin. Devant le regard ébahi de Faezat, Munis ressuscite peu après et conduit celle-ci vers une oasis située au bout d’une route déserte, non loin de Téhéran qu’elle regagne aussitôt afin d’aller participer aux manifestations qui menacent d’embraser le pays. Restée derrière, Faezat fait la connaissance de la maîtresse de céans, Fakhri, une quinquagénaire distinguée qui vient de quitter son mari, général dans l’armée. Quelque temps auparavant, la dame a recueilli Zarin, une jeune prostituée en fuite qui s’est murée dans le silence. Alors que Fakhri donne une grande réception, un coup d’État éclate et l’armée fait irruption dans le domaine.
Notre avis : Alors que s’achève la 101ème journée de la femme, que l’on a fait le bilan des hommes qui peuvent ou non passer l’aspirateur, que le village de Montrésor a expérimenté « une semaine sans les femmes » dans une télé-réalité plus que condescendante, la lapidation, le voile, la discrimination à l’emploi continuent d’être pour les jeunes Iraniennes, une menace quotidienne.
Lion d’argent à la Mostra de Venise 2009, Women without men est donc une affaire de femmes. Premier long-métrage de la réalisatrice Shirin Neshat, le film épate d’abord par sa perfection visuelle. Vidéaste engagée et artiste militante, elle fait avec ce long-métrage, ses premiers pas dans le cinéma. Mais pas dans l’art.
Auteur de la série photographique Women of Allah, mettant en scène par le jeu d’un fort noir et blanc des portraits de femmes, militantes révolutionnaires, voilées et tatouées à l’encre calligraphique, elle met un point d’honneur à défendre malgré la double censure (politique et masculine), l’image de la femme iranienne. Symbolique et contrastée, l’esthétique très plastique de Shirin Neshat se retrouve dans ses expérimentations, expérimentations placées dans une certaine continuité, Women without men n’étant ainsi qu’un prolongement logique de ses précédents travaux (trois vidéo-portraits sur trois de nos héroïnes : Zarin en 2005, Munis et Fazaeh en 2008). Ce qui frappe dans Women without men, c’est le phénomène de résonance. En choisissant de situer l’action en 1953, la réalisatrice prend le parti de choquer et de souligner le peu de chemin (voire même le recul) de la liberté en Iran. Un sujet aussi tabou que le coup d’état, la dictature du Shah ou l’actuel régime Mollah. Mais si le contexte politique est volontairement signé par l’insertion de plans de foules en colère, de révolutionnaires communistes actant et tractant secrètement, de répression violentes par les autorités locales, l’insurrection véritable est ailleurs.
« Révolution » : faire un tour, changer d’angle, retourner son axe. Ici la notion de cheminement est constamment présente. Cheminement physique ( transformation, dégradation, disparition), cheminement géographique (fuite, isolement) mais aussi et surtout cheminement moral (prise de conscience, désillusions, émancipation), Women without men est un film « en mouvement ».
Dans la fixité d’une image à la photographie sur-travaillée, s’enchainent et s’alternent les plans de manifestations dans les rues de Téhéran, dont la couleur sépia rappelle le grain de l’archive, et les plans d’exil aux couleurs plus lyriques et plus saturées, sur les routes et dans la campagne d’Iran. Une double dimension alliant parfois de manière surprenante réalisme et surréalisme, l’un des personnages (Munis) ressuscitant de son suicide quelques heures après avoir était mis en terre.
Un miracle pas des plus crédibles et pas des plus utiles mais dans l’esprit du livre de l’écrivaine Shahrnush Parsipur, roman qui servit de base au scénario de Shirin Neshat. Un mysticisme que l’on retrouve aussi dans le parcours expiatoire que mène seule et en pleine nature la jeune prostituée Zarin, dont la pâleur et la maigreur appelle un état de sainteté. L’excellente performance très physique de l’actrice hongroise rend d’ailleurs certaines scènes insupportables, notamment celle du bain aux thermes de la ville, la nudité cadavérique et les auto-mutilations ensanglantées agressant de plein fouet le spectateur.
Un martyre partagé par le personnage de Fazaeh, victime de viol, et une sanctification qui sera officialisée
par l’entrée au paradis : celui de la villa de Fakri, de sa douceur, de ses fleurs et de son jardin. Un lieu central, qui se répète et se décline (jardin de Munis à Téhéran) dans la vie de ces femmes, comme un espace d’indépendance et de liberté. Si la condition féminine n’est pas encore totalement confinée dans le voile de la burqa (le port du voile étant à l’époque un choix) la liberté reste une notion floue et lointaine pour chacune d’elle, qu’elle soit contestataire (Munis), occidentalisée (Fakhri), soumise (Fazaeh), ou prostituée (Zarin).
Ici la question du foulard est habilement détournée et stylisée par l’emploi de draps attrapés et noués à la va-vite, de voiles à demi portés, ou de coiffures élaborées. Certaines sont même fardées à l’heure occidentale et ont, comble de l’ironie, le coeur à l’américaine, mais aucune n’est affranchie.
Seul le jardin laisse entrevoir le flottement d’une chevelure délivrée, mouvement symbolique de l’émancipation, particulièrement pour le personnage de Fazaeh, dont la transformation reste édifiante. C’est encore au jardin que les rencontres se font, que les langues se délient, et que les voeux sont formulés. Un asile bien mérité pour nos quatre héroïnes mais qui pose néanmoins une question :
Pour vivre heureuse en Iran faut-il vivre cachée ?
Si le sujet poussait à l’extrémisme et à la caricature, Shirin Neshat prend le parti d’une juste peinture de l’Iran, dans ses zones d’ombres (intégrisme religieux, misogynie, ignorance) comme dans ses lumières (soutien du peuple au régime démocratique de Mossadegh, élite libérée et tolérante, solidarité féminine) tout en éclairant de son regard l’implication des Etats-Unis et de la CIA dans le retour au pouvoir du Shah d’Iran. Un coup d’état qui marque le retour de trente ans de dictature, la naissance de
l’ anti-américanisme, et la fin de l’épisode démocratique en Iran.
Une lueur d’espoir pourtant : la protestation étudiante en marche depuis 2009 et sa forte part de femmes...
Women without men est un film phare à ne pas rater, ne serait-ce que pour soutenir le combat très actuel que mènent aujourd’hui Shirin Neshat, Jafar Panahi et bien d’autres pour l’existence d’un cinéma iranien libre et indépendant.
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