Sex & Drugs & Techno
Le 22 mai 2020
Zigzaguant entre les frères Coen, Danny Boyle, Guy Ritchie, voire Almodóvar, le créateur de Casa de Papel livre une série à la fois surprenante et en demi-teinte. À moins qu’une probable saison 2 nous révèle une face cachée plus tordue…
- Réalisateurs : Nick Hamm - Luis Prieto - Ashley Way
- Acteurs : Nuno Lopes, Juan Diego Botto, Laura Haddock, Daniel Mays, Marta Milans
- Nationalité : Britannique, Espagnol
- : Netflix
- Durée : 10 épisodes de 51 à 63 minutes
- VOD : NETFLIX
- Scénariste : Álex Pina
- Genre : Drame, Érotique, Thriller, Mafia
- Titre original : White Lines
- Date de sortie : 15 mai 2020
- Plus d'informations : White Lines
Résumé : Zoe Walker quitte sa petite vie paisible pour enquêter sur la disparition de son frère à Ibiza, où elle se retrouve rapidement dans un monde aussi déréglé que dangereux.
Notre avis : Il y a un talent qu’on ne peut pas retirer à Álex Pina, créateur de Casa de Papel, c’est celui de trouver des pitchs malins, de tricoter et truffer ses histoires de rebondissements et de twists dans les twists. Sans oublier ses personnages aux psychologies et parcours particuliers, pour ne pas dire tordus. Mais là où il excelle, c’est dans l’art de l’ouverture, l’incipit pour faire une analogie littéraire, qui nous aspire littéralement. On ne reviendra pas sur celle de Casa de Papel. Oh puis, si, il y a prescription : plan d’une femme allongée avec un révolver. En voix off, elle se présente : c’est Tokyo, elle ne compte plus les braquages, elle est une tueuse sans pitié, et s’apprête à disparaître dans la nature, au nez et à la barbe des flics. Pas de pot, à peine sortie de sa planque, elle se fait cueillir comme une débutante par le Professeur. Et de comprendre que ce Professeur est un méga-génie qui va nous embarquer dans un casse aussi improbable qu’ahurissant, avec à la clé, la bagatelle d’un milliard d’euros.
- Copyright Netflix
Pour sa nouvelle série, ultra attendue, il va sans dire, Pina réitère son coup d’ouverture, tel son Professeur, émérite joueur d’échecs. White Lines s’ouvre à nouveau, sur une femme anglaise, cette fois face caméra, qui nous annonce qu’elle a « vécu plus en vingt-quatre heures que ses vingt-quatre dernières années ». Elle parle d’un incroyable déluge sur Almérià, un désert en Espagne où il n’avait pas plu depuis des lustres. Plans du désert de nuit où une pluie abondante dégage un cadavre momifié. Le jour se lève avec grand soleil ; des cow-boys en ballade découvrent le cadavre et l’un d’eux sort son smartphone. En moins de deux minutes, Pina nous plonge dans un bain hispano-britannique qui risque d’être très chaud. Zoé, l’Anglaise, toujours face caméra (on ne vous dit pas pourquoi), continue son récit. Elle est arrivée la veille avec son mari, pour identifier le corps, très certainement celui de son frère, Axel, disparu depuis vingt ans. Pina s’amuse à glisser qu’Almérià fut le lieu de tournage des westerns de Leone, The Good, the Bad and the Ugly comme le cite, avec son accent espagnol, le flic les accueillant. Sauf qu’il y a deux petits soucis : le dernier signe de vie d’Axel faisait état d’un séjour aux Indes, et le tatouage sur son corps momifié a été fait à Ibiza. Pourquoi son cadavre se retrouve-t-il alors sur le continent, en plein désert ? Dans la poignée de minutes qui suivent, on comprend qu’à la fin des années 90, Alex est parti de Manchester avec des potes, pour Ibiza où il a été le plus grand DJ. Zoé, à l’époque, n’avait que 16 ans, ne le revit plus jamais et se contenta de cartes postales. Et histoire de bien amorcer la pompe, on apprend que le terrain où a été trouvé le cadavre, appartient à Andreu Calafat, propriétaire de plusieurs boîtes de nuit à Ibiza où ça deale, et où Alex a sévi. On sent venir le bon mixage sur beat lourd de vies nocturnes, drogues, sexe et gens peu recommandables qui vont avec.
- Copyright Netflix
Pina, aux platines scénaristiques, débute fort bien son set. En excellent DJ du flash-back (on a largement écouté, pardon, vu sa technique dans Casa de Papel), ses premiers épisodes nous baladent entre la triste Manchester de 1996, avec des airs de Danny Boyle, les raves techno des années 90 à Ibiza, et l’île de nos jours où Zoë, après avoir remis son mari dans l’avion pour l’Angleterre, décide d’aller pour mener sa propre enquête. Sur un rythme assez enfiévré, on découvre la pile de disques, pardon, de personnages, enjeux et débuts d’intrigues qui vont nourrir les dix épisodes. Les potes d’Alex toujours installés à Ibiza, mais qui ont maintenant la quarantaine, parfois marquée, menant des vies plus que variées, la famille Calafat, son personnel musclé, les flics locaux, et forcément des dealers et trafiquants qui, on s’en doute, ne sont pas des Bisounours.
Selon des rumeurs, certains DJ carbureraient à la coke, substance qui a les vertus de faire « pétiller » les neurones. Son problème, c’est l’après, la « descente » qui est plus laborieuse et nettement moins créative. Loin de nous de penser qu’Álex Pina fonctionnerait à la poudre, mais White Lines est un peu en montagnes russes, avec des pics et quelques descentes.
Pina propose un récit plus « conventionnel », tout en gardant sa recette d’écriture mêlant flash-back et ouvertures d’épisodes par la fin ou le milieu, astuce usuelle mais parfaitement maîtrisée par notre serviteur, pour créer tension et/ou fausses pistes. S’il renonce aux rebondissements et twists improbables dont est truffée Casa (quoi que…), en bon DJ, Pina nous gratifie de quelques samples : des arrangements à la frères Coen, pour l’attachant Marcus, vieux copain d’Alex, embringué dans des salades avec des trafiquants, disons « exotiques », et quelques scènes d’ultra violence ; des tempos à la Danny Boyle ou Guy Ritchie pour d’autres Mancuniens un peu bizarres ; des ambiances kubrickiennes échappées de Eyes Wide Shut (*), pour des plans d’orgies très chics et très très chauds ; ou quelques harmonies almodóvaresques, pour une psychothérapie familiale à la fois tragique et lunaire. Mais entre ces moments qui nourrissent très bien le récit et nous tiennent en haleine, White Lines accuse, de-ci de-là, quelques baisses de régime, en mode télénovelas avec ce que cela induit pour le jeu des comédiens, caricatural, mais aussi pour les dialogues écrits sur des Post-it.
White Lines se regarde pourtant avec un certain régal. On s’attache à Zoé qui évolue au fil des épisodes, en découvrant les faces cachées de son frère, ses amis, avant et aujourd’hui, et obtient enfin l’explication finale. Bref, c’est une bonne série captivante, et pourquoi n’aurions-nous pas honte de partager ce plaisir coupable, et conclure ainsi cet avis ?
Cela reviendrait peut être à oublier qu’Álex Pina est un petit malin. Pondre le premier braquage rocambolesque de Casa de Papel qui s’avale d’un trait, sans se poser la moindre question, nécessite une sévère imagination et surtout un immense talent d’enfumeur. Partant, que cet entourloupeur de première, nous laisserait sur l’illusion que White Lines est une série bouclée, ne ne nous surprendrait pas alors. Car si on commence à se repasser le film, comme dirait Columbo, quelques petits détails nous tracassent, à commencer par le plan final et l’ultime réplique pour le moins ambiguë. Notre secret espoir est qu’une saison 2 soit déjà sur le Mac (ou PC) d’Álex Pina (pendant le confinement, on aurait dit qu’il l’aurait tout grattée, hein ?) avec, allez au hasard, la probabilité de nous embarquer à Ibiza, cette fois pendant l’hiver. Le gaspacho est une soupe qui se mange froide. On dit ça, on dit rien.
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(*) Nous nous interrogeons sur d’autres clins d’œil (volontaires ou pas) kubrickiens. Alex est le prénom du héros de Orange Mécanique qui adore Beethoven. L’Alex de White Lines, est tout aussi décadent et, lui, fan de Mozart comme en témoigne - entre autres - une séquence assez « documentée ». Vi, ok, c’est un quart de demi-spoil…
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ceciloule 21 juin 2020
White Lines - la critique de la série
Une série qui se regarde avec un certain régal, en effet... Régal coupable, certes, mais on binge-watche sans bouder notre plaisir et on savoure le suspense qui fonctionne malgré tout assez bien ! (j’en parle ici : https://pamolico.wordpress.com/2020/06/21/white-lines-alex-pina/)