Femmes au bord de la crise de nerfs
Le 23 avril 2024
Trois magnifiques portraits de femmes pour une radioscopie de l’Algérie en toute liberté.
- Réalisateur : Nadir Moknèche
- Acteurs : Lubna Azabal, Biyouna, Nadia Kaci, Lounès Tazairt, Jalil Naciri, Serge Avédikian
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Français, Belge
- Distributeur : Les Films du Losange
- Editeur vidéo : Pias
- Durée : 1h53mn
- Date de sortie : 7 avril 2004
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Résumé : La vie à Alger aujourd’hui, vue à travers le quotidien de trois femmes logeant dans le même immeuble du centre ville. Papicha, la mère, ancienne danseuse, a tout perdu : son mari, son travail. Elle vit dans la nostalgie de sa célébrité passée, dépendant financièrement de Goucem, sa fille. Celle-ci, à vingt-sept ans, s’est organisé une vie émancipée : travail chez un photographe, riche amant médecin, drague dans les clubs de billards et les boîtes chaudes. Fifi, son amie fidèle, se prostitue, protégée par Chouchou, un policier.
Critique : Finie la farce douce-amère du Harem de Madame Osmane, son premier film. Nadir Moknèche prouve son indépendance d’esprit en visant droit au réalisme le plus raboteux. Voilà "Laldjérie" telle qu’en elle-même, pays bouleversé par dix années de guerre, dont la société a perdu tout repère identitaire. Comment vivre lorsque règne la déliquescence ? Comment bâtir un projet d’avenir sur l’indifférence, le mensonge et les contradictions ? Quitte à s’attirer les foudres des intégristes, Moknèche - qui a eu, rappelons-le, l’autorisation de tourner à Alger, ce qui n’était pas le cas de son précédent film - fait fi des lieux communs et nous ouvre les yeux sur une société qui vit de magouilles, débrouille, peurs refoulées, lâchetés, sexisme, hypocrisie, privilèges, chacun pour soi et superstitions : société schizophrène, écartelée entre la tradition en perte de vitesse et le mirage occidental apporté par les paraboles de télévision omniprésentes sur les toits d’Alger.
Cette schizophrénie est incarnée par trois magnifiques portraits de femmes au bord de la crise de nerfs (ceci n’est pas un jeu de mots facile, la parenté est évidente avec Pedro Almodóvar pour lequel Moknèche ne cache pas son admiration). Fifi (touchante Nadia Kaci), la pute au cœur gros comme une maison dont la courte vie basculera dans un engrenage terrifiant pour se terminer sur une plage jonchée de détritus ; Papicha l’ex-danseuse dont le rêve est de ressusciter le passé (Biyouna crève l’écran dans ce rôle plein de noblesse et de fêlures intimes) ; et sa fille Goucem (Lubna Azabal, magnifique de justesse et d’émotion à fleur de peau). "Vingt-sept ans, pas vierge, deux avortements. Qui voudra de moi ?", Goucem qui est la personnification d’une Algérie en pleine incertitude. Elle vit en femme libre et ne rêve que de mariage. Incapable de faire un choix entre tradition et transgression, sortant un jour voilée, le lendemain en blouson et pantalon, elle balance entre désespoir et rage de vivre.
Un peu de drôlerie et beaucoup de tragique se mêlent dans ces trois destins croisés de femmes vulnérables, se battant avec les moyens du bord dans une Alger hivernale et froide, restée belle dans son incroyable décrépitude et son chaos routier. Si le constat d’échec est flagrant, le propos du réalisateur est loin d’être désespéré. Il nous montre avec les yeux du cœur un pays issu de l’oppression de plus d’un siècle de colonialisme et de décennies de régime autoritaire ; un pays neuf, face à ses choix, qui n’a pas encore trouvé son identité mais dont les habitants ont la volonté d’oublier le passé. Ce formidable appétit de vivre traverse et soutient tout le film. C’est grâce à lui que se bâtira l’Algérie de demain, comme le laissent entendre les premières images, peuple grouillant déambulant dans les quartiers populaires de la ville : un peuple en marche, soucieux de se débarrasser des décombres du passé et de briser ses tabous. Pour aller vers quoi ? Seul l’avenir le dira. Souhaitons longue vie créative à Nadir Moknèche pour poursuivre la courageuse et attachante chronique de son pays, continuer à nous dire que la femme est l’avenir de l’homme et à nous faire passer d’aussi belle et intelligente manière de l’autre côté du miroir déformant des idées toutes faites.
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