Le 19 janvier 2024
Deray signe une œuvre originale, intrigante, mais pas tout à fait aboutie.
- Réalisateur : Jacques Deray
- Acteurs : Lino Ventura, Nicole Garcia, Dominique Lavanant, Claudine Auger, Laura Betti, Paul Crauchet, Roland Bertin, Jean Bouise, Jacques Maury, José Lifante
- Genre : Drame, Thriller
- Nationalité : Français
- Distributeur : Gaumont Distribution
- Date de sortie : 3 mai 1978
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Résumé : Roland Fériaud, un homme sans histoire, est séquestré dans une étrange clinique. On le questionne au sujet d’une mallette, mais il s’aperçoit bientôt qu’il y a eu erreur sur la personne...
Critique : Un papillon sur l’épaule est l’une des rares tentatives françaises de rivaliser avec la suprématie américaine dans l’art du cinéma paranoïaque et complotiste, retrouvant par un biais hitchcockien l’inquiétude qui naît de l’impossibilité d’avoir prise sur des événements qui vous dépassent. À ce titre, le choix inattendu de l’impavide Lino Ventura, presque à contre-emploi dans le rôle d’un monsieur tout-le-monde qu’une méprise ballote de meurtre en enlèvement, est une excellente idée ; non pas qu’il soit plus expressif que d’habitude (et les limites de son jeu apparaissent de temps en temps), mais en tant que symbole du héros actif et puissant, il densifie le film par sa seule présence en forme de paradoxe.
Soit donc un quidam, Roland Fériaud, en transit à Barcelone, qui trouve un cadavre dans une chambre d’hôtel, se réveille dans une curieuse clinique tenue par le formidable Jean Bouise. Le seul autre patient apparent, autre grand second rôle, Paul Crauchet, parle à un papillon sur son épaule. Puis il est libéré, et la machine s’emballe : autre meurtre, enlèvement de sa femme, récupération d’une mallette, et règlement de comptes généralisé. La force et la faiblesse du film, c’est le choix de taire le plus d’éléments possibles : que contient la mallette ? Qui manipule qui ? On n’en saura rien. C’était le vœu des scénaristes, Jean-Claude Carrière et Tonino Guerra, et le pari est tenu jusqu’à la fin, osée pour les spectateurs habituels de Ventura. Même l’intrigante « femme à l’imperméable », pourtant agent actif dans la machination, ne maîtrise rien et ignore beaucoup. On est donc dans un monde où toute personne est potentiellement un espion, de l’employé de l’hôtel à ce couple qui se dispute dans l’ascenseur, ou cet autre qui rit trop fort. La menace est partout, et contamine habilement le film, transformant Barcelone en espace claustrophobe. Mais, disions-nous, c’est aussi la limite d’ Un papillon sur l’épaule que de ne rien révéler : le danger est abstrait, les motivations indéchiffrables ; il y a risque à la fois de frustration et disons-le, d’indifférence. Contrairement aux machinations hollywoodiennes des années 70, aux méchants identifiés, l’absence de nom précipite le film dans un cauchemar théorique, où rien n’est dit. Bien sûr, cela va de pair avec l’idée d’un monde qui change et dans lequel les intérêts d’État gouvernent à l’aveugle, au mépris des gens. La puissance « d’en haut », insaisissable et toute-puissante, écrase l’individu au nom d’un intérêt supérieur incompréhensible. Contemporain du début de la mondialisation, Un papillon sur l’épaule enregistre les changements du monde, avec ses enjeux obtus.
Ce monde à la dérive est aussi bien représenté par l’indifférence des passants à la fin (le plus effrayant étant que la scène a été tournée en caméra cachée, et qu’effectivement, personne ne s’est arrêté en voyant Lino Ventura s’effondrer) que par le grand nombre de vitres et de fenêtres qui font du protagoniste non plus un agent de résolution, mais un simple spectateur (donc représentant de nous qui regardons), convocable sur simple appel téléphonique, éternellement surveillé, assommé, drogué, menacé. Il y a dans ce constat comme la vision désabusée d’une société dont l’humanité s’est perdue, avalée par des pouvoirs obscurs.
Magnifiquement interprété par des seconds rôles formidables, la palme revenant au doucereux Jean Bouise, Un papillon sur l’épaule souffre néanmoins de s’aventurer sur des terres que de grands cinéastes ont jalonnées ; que ce soit La mort aux trousses avec sa méprise initiale, ou la mallette-MacGuffin toute hitchcockienne, ou le postérieur Frantic, on a l’impression en voyant le film d’une mise à plat de schémas connus. Certes, quelques idées de cinéma, comme certaines séquences vues en plan large, du point de vue de Ventura, rehaussent l’ensemble. Certes, le pari risqué mérite d’être souligné. Mais Deray manque singulièrement de vigueur et de rythme pour transformer cet essai, intéressant mais inabouti, en une œuvre paranoïaque puissante et, disons-le, métaphysique.
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