Vieillirons-nous ensemble ?
Le 13 mars 2011
Mausolée à l’amour blessé. Le Japonais Suwa réalise un splendide film d’auteur français : le meilleur des deux mondes.
- Réalisateur : Suwa Nobuhiro
- Acteurs : Bruno Todeschini, Valeria Bruni Tedeschi, Nathalie Boutefeu
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Français, Japonais
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– Durée : 1h44mn
Mausolée à l’amour blessé. Le Japonais Suwa réalise un splendide film d’auteur français : le meilleur des deux mondes.
L’argument : Après plusieurs années de vie commune à l’étranger, Nicolas et Marie sont sur le point de divorcer. Ils décident pourtant de se rendre ensemble à la cérémonie de mariage d’un de leurs amis, en France. Dès leur arrivée, ils annoncent la nouvelle de leur rupture, ce qui provoque l’étonnement de leur entourage.
Notre avis : On peut s’en dire des choses pendant un trajet de taxi. Marie (Valeria Bruni-Tedeschi) et Nicolas (Bruno Todeschini), eux, marmonnent des remarques à l’encontre du conducteur ("Vous êtes passé au rouge, monsieur"), esquissent un appel téléphonique, pour tomber aussi sec sur un répondeur, se taisent. Silence cinématographique. C’est la première séquence : les visages sont tendus. Quelques minutes d’angoisse sourde que viendra confirmer le reste du métrage. Un préambule parfait à cette dissolution d’un couple.
Nobuhiro Suwa est décidemment toujours là ou on ne l’attend pas. Découvert en France avec le radical M/Other (deux heures trente où le quotidien d’un couple est soudain perturbé par l’arrivée d’un enfant), il s’était ensuite fait remarquer avec H story, métafilm sur l’impossibilité de remaker Hiroshima mon amour. Un brin trop arty, mais diablement fascinant. Cette fois-ci, il se livre à une synthèse-dissection du cinéma d’auteur français, tendance radioscopie d’un couple, dont il s’approprie les codes avec brio, sans jamais tomber dans l’hommage facile. Ce cinéma heurté, du vécu, qui, de Pialat (magistral Nous ne vieillirons pas ensemble), à Eustache (celui de La maman et la putain, un des plus grands films des années 70), s’est fait une spécialité de mettre à nu la difficulté de vivre à deux.
Cinéma d’auteur donc. Mais aussi, et surtout, d’acteur. Valeria Bruni-Tedeschi et Bruno Todeschini trouvent ici leur plus beau rôle. Le plus douloureux, le plus libre (le film respire l’improvisation). Entre eux, c’est un peu "je t’aime, moi non plus". Alors que tout semble éteint, ils ne parviennent pas vraiment à se quitter. Alors, en attendant : souffrance, élans d’affection, rancœurs, regrets. Souvenez-vous, ce point de non retour, quand le couple s’effrite, que l’on joue à se faire mal. Tout ça, sans jamais verser dans une psychologie trop évidente, mais avec une sidérante justesse. Le geste, la phrase qui tue, le tremblement, l’oscillation de la voix. Suwa a déjà filmé la mise à mort de l’amour dans M/Other, il sait que la clé réside dans l’effacement. En faire le moins possible pour produire un effet maximal, avec un incroyable sens du détail. Certains prendront cela pour une absence de mise en scène. Nous, on préférera parler de cinéma brut, sans artifices. Allant droit à l’essentiel. Parfois un gros plan, à la brusquerie désarmante. Le plus souvent des plans fixes, magistralement cadrés, véritables tombeaux des sentiments. Profitons-en pour souligner l’exceptionnel travail de Caroline Champetier, qui livre une somptueuse photographie en clair-obscur, rappelant celle qui éclairait si bien l’intimité du couple de Nine songs.
Un film bouleversant, qui n’a pas peur de laisser parler les silences, qui s’en nourrit même, comme un équivalent cinématographique aux nocturnes de Chopin. Une sorte de cinéma de chambre, feutré et obsédant. Au bout du chemin, pas de discours sentencieux sur l’amour et la vie en couple, mais un ultime plan en forme de points de suspension, qui résonne longtemps dans l’esprit du spectateur. De quoi conclure en beauté cette œuvre crépusculaire, prodigieusement mature. Pour adultes consentants.
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