Le 7 octobre 2024
Dans l’adaptation sensible du roman de Sara Mesa, Isabel Coixet dépeint le quotidien d’une jeune trentenaire à la personnalité complexe et toute en nuances, subissant de plein fouet le patriarcat de la campagne espagnole.
- Réalisateur : Isabel Coixet
- Acteurs : Hugo Silva, Ingrid García Jonsson, Laia Costa, Luis Bermejo, Hovik Keuchkerian
- Genre : Drame
- Nationalité : Espagnol
- Distributeur : Arizona Distribution
- Durée : 2h09mn
- Date de sortie : 9 octobre 2024
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Natalia, la trentaine, se retire dans un village de la campagne espagnole pour échapper à un quotidien stressant. Elle se heurte à la méfiance des habitants, se lie d’amitié avec un chien, et accepte une troublante proposition de son voisin.
Critique : Natalia déménage sans explications pour se réfugier dans un village isolé. Elle habite une vieille maison et est très tôt confrontée au machisme de son propriétaire. Le cadre est posé : Natalia va rencontrer des hommes – un artiste à l’égo aussi démesuré que l’est sa fausse humilité, un voisin et père de famille, qui lui lance des regards langoureux bien trop appuyés, et un prénommé « l’Allemand », qui cultive des fruits et légumes, pour parfois revêtir l’habit de bricoleur du dimanche. Natalia devient le point de fuite de tous ces regards masculins.
La baraque qui lui sert d’abri est constamment ouverte : on y entre et sort sans frapper. Chacun y va de sa visite : ces allers-retours incessants et impromptus ne sont que le reflet de l’atmosphère du village. Un village étriqué (comme le cadre, de format carré), où tout est vu, su, et répété. L’expression « les murs ont des oreilles » n’a jamais été aussi véridique. Ceux-ci viennent d’ailleurs sur-encadrer le personnage féminin, qui se voit vite enfermé plus que libéré par l’ambiance rurale.
- © Arizona Distribution
La maison tombe en ruine. Le toit fuit sans que le propriétaire ne daigne bouger le petit doigt. Alors un soir, l’Allemand propose à Natalia un pacte étrange : réparer les poutres d’où dégouline l’eau, contre une relation charnelle. Ce qui scelle le début de leur relation relève du chantage d’un homme – visiblement en position de force, sur une femme dos au mur. De leur première entrevue, résulte un viol. Natalia n’est pas consentante, et la mise en scène redouble cette absence d’assentiment. La bande-son nous plonge dans la tête de la protagoniste, où le grincement du lit se mêle aux grognements/gémissements rauques d’Andreas (l’Allemand). Dans sa brutalité, avec son corps lourd et aussi imposant que les rochers qui s’élèvent à l’orée du village, il paraît monstrueux. Mais la cinéaste va plus loin encore dans l’incarnation de l’expérience féminine en faisant dissocier son personnage : Natalia se dédouble, se voit elle-même en train de se faire violer et la caméra demeure sur ses yeux figés, témoins de sa sidération. Jamais nous n’adoptons le point de vue de l’agresseur ; nous restons à hauteur de femme ; et ici, à hauteur de victime.
Les péripéties qui suivent initient une histoire d’amour – cette fois amorcée par Natalia – avec Andréas. Ce retournement de situation dont l’on ne perçoit pas le sens – tout comme l’on ne comprend pas les raisons qui ont poussé Natalia à quitter son ancienne vie – témoignent de la dualité interne du personnage. Est-elle réellement tombée amoureuse de son agresseur ? Ou bien est-elle victime du syndrome de Stockholm ? Le film ne donne pas de réponse claire. Réside seulement ce dédoublement propre à Natalia, qui vient ponctuer la narration, comme si elle n’était jamais totalement présente à ce qu’elle entreprend, comme si ce n’était pas réellement elle qui agissait. Nous ne pressentons que le poids du regard des autres, voyeuriste, sur cette nouvelle relation. Tout le monde est au courant ; les villageois ont sans aucun doute des yeux dans le dos.
Ce qui se lit en creux, réside dans la dénonciation du male gaze : l’atmosphère aussi étouffante à l’intérieur de la maison (où tout semble ouvert) qu’à l’extérieur du village (où tout semble fermé), et les différents personnages masculins, viennent souligner l’enfermement éprouvé et enduré par Natalia. A contrario, la jeune femme se pose comme vecteur d’un regard féminin, portant en elle une soif de liberté, d’autonomie, et de mouvement.
Galerie photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.