Le lion est mort ce soir
Le 7 juillet 2019
Rares sont les films occidentaux qui réussissent à mettre sur le même plan violence sociale et violence physique. Alors, quand un cinéaste américain y parvient avec autant de maitrise que de radicalité, ça fait chaud au cœur.
- Réalisateur : S. Craig Zahler
- Acteurs : Vince Vaughn, Mel Gibson, Jennifer Carpenter, Tory Kittles
- Genre : Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Thriller
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Metropolitan (éditeur DVD)
- Durée : 2h39mn
- VOD : Sortie uniquement en VOD
- Titre original : Dragged Across Concrete
- Date de sortie : 3 août 2019
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Résumé : Deux policiers sont suspendus pour usage abusif de la force après une arrestation musclée. A court d’argent, ces deux représentants de l’ordre basculent de l’autre côté de la loi pour s’arroger une compensation. Ils prennent en filature de dangereux braqueurs de banque afin de s’emparer de leur futur butin.
Notre avis : Voici quelques années que le nom de Mel Gibson sur une affiche n’attire plus les foules. L’ancienne star des années 80-90 a même depuis lourdement tendance à accumuler les flops commerciaux. Vince Vaughn n’a, quant à lui, jamais réussi à se montrer vraiment crédible autre part que dans les comédies régressives qui l’ont fait connaître. Son dernier grand rôle de flic remonte d’ailleurs à la saison 2 de True Detective, considérée (très injustement) par le public comme un échec. Dès lors, voir les deux acteurs réunis pour tenir les rôles principaux d’un film, que le titre et l’affiche nous annoncent être un condensé de violence hyper testostéroné, n’a a priori pas forcément de quoi susciter l’attention.
Pourtant, que leurs noms soient associés à celui de S. Craig Zahler, méritait que l’on s’y penche un peu plus. Si le cinéaste est encore loin d’être connu du grand public, il a pourtant déjà su se faire sa petite base d’amateurs parmi les adeptes du cinéma de genre en s’accaparant, dans Bone Tomahawk et Section 99, les codes, respectivement du western et du film carcéral. Même si les résultats manquaient quelque peu de finition, le réalisateur avait fait preuve d’un jusqu’au-boutisme prometteur. Il exploite enfin et complètement tout son talent dans ce Traîné sur le Bitume, qui prend complétement à revers les supputations de ceux qui en attendent un banal actioner bourrin de série B.
- Copyright 2019 Metropolitan
On n’a d’ailleurs pas l’habitude de voir des films d’action de plus de deux heures et demie. Si celui-ci est aussi long, c’est parce que le réalisateur prend le soin d’introduire chacun de ses personnages. Ainsi, le long métrage ne débute pas sur les deux policiers Ridgeman et Lurasetti (soit respectivement Gibson et Vaughn), mais Henry John, un personnage incarné par Tory Kittles. Rapidement, s’attarder sur l’intimité précaire de ce jeune Afro-américain, à qui l’on découvre une mère surendettée et un fils handicapé, donne à cette œuvre un ton proche du film social. Et c’est exactement dans cette veine qu’il va choisir de se développer, à l’aide d’un excellent travail d’écriture dans les dialogues.
On comprend vite que lorsqu’Henry, qui est un personnage auquel le spectateur a tôt fait de s’attacher, prétend avoir un « plan » pour aider sa famille, il s’agit là du coup qui va, plus tard, l’opposer aux deux policiers. D’ailleurs, quand la narration introduit ces derniers, c’est lors d’une perquisition musclée, donc moralement répréhensible. Toutefois, en les observant dans leur vie privée respective, l’extrême réalisme du scénario – frôlant parfois le misérabilisme, mais c’est le propre du film social – finit, encore une fois, par générer une véritable pour ces deux anti-héros. Le récit se met ainsi doucement mais efficacement en place, pour faire en sorte que le public ne puisse pas facilement prendre parti pour l’un ou l’autre des protagonistes de ce qui se prépare.
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Étrangement, alors que le cinéaste prend soin d’exploser le manichéisme si cher à l’industrie hollywoodienne, il intègre dans le film plusieurs scènes de meurtres gratuits, commis par un mystérieux homme en noir. Il existe donc bel et bien de vrais « méchants » dans son petit univers. C’est assurément une manière pour lui de nous laisser entrevoir sa capacité à filmer une violence sans ambages, mais aussi d’introduire une menace déshumanisée qui participe au charme vintage de son film. Celui-ci se retrouve tout particulièrement dans le buddy movie qui se met en place à travers Ridgeman et Lurasetti.
La planque qu’ils opèrent ensemble (rappelant le film Etroite Surveillance) se construit en effet sur leurs dialogues, tantôt drôles, tantôt désespérés, mais toujours bien écrits, et surtout permettant de mettre en valeur la qualité du jeu des deux interprètes, pourtant décriés. Le choix de Mel Gibson dans ce rôle de sexagénaire, au bord de la retraite et incapable de subvenir aux besoins de sa famille, s’avère même une évidence, tant on peut discerner dans le discours mélancolique du personnage un certain reflet de ce que peut ressentir l’acteur vis-à-vis de sa propre carrière. Vince Vaughn s’en sort également très bien dans son rôle de jeune homme qui se veut loyal, mais que l’on sent effrayé par son avenir.
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La finesse avec laquelle se bâtissent les échanges entre ces deux policiers aux méthodes peu orthodoxes, confère une tonalité crépusculaire parfaitement maîtrisée, aux antipodes de la légèreté sur laquelle s’était construit le duo de L’arme Fatale. Les magnifiques jeux de lumières et l’absence de musiques ultra diégétiques participent pour beaucoup à cette ambiance très sombre. Profitant de ces qualités, on se surprend même à constater que le braquage ne débute qu’au bout d’une heure et demie, alors qu’il serait apparu comme un point de départ dans de nombreux films moins ambitieux. Or, dans la dernière heure, Zahler nous révèle un autre de ses talents : celui de filmer des scènes d’action avec, là encore, un réalisme tel qu’on n’en voit plus souvent au cinéma.
Le montage au cours de la filature, mais aussi et surtout la gestion du temps et de l’espace lors de l’échange de coups de feu, qui apparaît comme le climax du film, font de ces scènes de véritables réussites stylistiques. Pour peu que l’on ferme les yeux sur les dernières minutes (que l’on préférera mettre sur le dos de producteurs aveugles à ce qui a été mis en place précédemment), on retiendra de ce polar old school la marque d’un auteur qui réussit à tenir sur la durée un véritable film noir, dont le contenu recycle parfaitement l’esprit pessimiste du cinéma des années 90. On ne regrette pas de s’y être intéressé et on déplore d’autant plus que le film soit privé de sortie en salle !
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