Opaque comme une société offshore.
Le 8 novembre 2019
En décidant d’expliquer l’inexplicable, Steven Soderbergh se rend compte de la complexité des Panama Papers et se tire tant bien que mal de cette affaire, avec une réalisation inventive et un casting de haut vol.
- Réalisateur : Steven Soderbergh
- Acteurs : Antonio Banderas, Sharon Stone, Meryl Streep, James Cromwell, Jeffrey Wright, Robert Patrick, Gary Oldman, David Schwimmer, Matthias Schoenaerts
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Netflix
- Durée : 95 minutes
- VOD : NETFLIX
- Reprise: 18 octobre 2019
- Scénariste : Scott Z. Burns
- Titre original : The Laundromat
- Date de sortie : 1er septembre 2019
- Plus d'informations : The Laundromat
- Festival : Festival de Venise 2019
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Résumé : Après s’être fait extorquer l’argent de son assurance, une veuve en colère enquête jusqu’au Panama, où deux avocats rusés dissimulent de l’argent pour les super riches.
Notre avis : Les affaires « Panama papers » découlant de la révélation, en 2016, de millions documents confidentiels issus du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca, sur plus de 200.000 sociétés offshore qu’ils ont créées et gérées depuis les années 70 (d’où la quantité astronomique de documents), ont éclaboussé le monde de la finance et surtout impliqué une impressionnante liste (1) d’entreprises, célébrités, politiciens, ministres, chefs d’État, mais aussi criminels, clients de Mossack Fonseca, cabinet qui employait 500 personnes dans le monde. Pour y voir clair, une équipe de plus de 300 journalistes, dans diverses rédactions de journaux et télévisions, a décortiqué cet Himalaya de documents pendant plus d’un an, pour publier articles et reportages sur toutes ces personnes ayant fait de l’optimisation fiscale.
Sauf que d’une part, l’optimisation fiscale n’est pas « illégale », et que d’autre part, comprendre les subtilités des réglementations et mécanismes des sociétés dites « écran », nécessite un solide bagage juridique, fiscal et financier. Alors pour s’attaquer à une simplification de ce monstrueux sac de nœuds, pour en tirer une histoire, il faut s’armer d’un sacré courage ! On ne reprochera pas à Steven Soderbergh d’avoir eu l’ambition de s’embarquer dans ce challenge, mais il aurait peut être été plus inspiré d’adopter un autre traitement, ou plus modestement d’y renoncer. Force est de reconnaître que le cinéaste, parmi les plus éclectiques du monde, jonglant habilement, comme réalisateur et/ou producteur, entre comédies, drames, biopics, pamphlets, westerns et documentaires, s’est un peu loupé sur ce coup. Cela dit, à l’occasion de ses trente ans d’une carrière plus qu’impressionnante (en 1989, son premier film, Sexe, mensonges et vidéo décroche la Palme d’or, excusez du peu !), on va lui rédiger un mot d’excuses.
Dans le mot d’excuses, on écrira d’abord qu’il aurait dû revoir les Tontons flingueurs (1963), en particulier le passage où Antoine de La Foy (Claude Rich), parlant de son père, dit : « Il comprend rien au présent, rien au passé, rien à l’avenir (…) enfin rien à rien... Mais il comprendrait l’incompréhensible, dès qu’il s’agit d’argent ». Et d’ajouter, une séquence plus loin : « Vous connaissez sa dernière ? Il vient de se faire bombarder vice-président du Fonds monétaire international ». La haute finance, c’est du lourd et la simplifier, c’est aussi prendre le risque de la rendre encore plus incompréhensible.
- Oui, il faut être juste très riche pour comprendre, après c’est enfantin… »
- Copyright Netflix
Dans le mot d’excuses on ajoutera que la formule du film à sketchs adoptée par Soderbergh, est souvent à double tranchant. Si certains de ces sketchs s’avèrent à peu près compréhensibles comme ceux sur les drames collatéraux, la « disparition » de la compagnie d’assurance qui doit indemniser les familles des victimes du naufrage d’un bateau, où comment un milliardaire surpris dans les bras de la meilleure amie de sa fille, achète le silence de cette dernière, en lui offrant des actions au porteur d’une société aux Seychelles, qui vont passer d’une valeur de 20 millions de dollars à 37 dollars le temps de se rendre chez Mossack Fonseca, d’autres sketchs sont aussi opaques qu’une société offshore, ou un peu simplistes : on pense à celui sur le chef d’un cartel mexicain.
En excuses complémentaires, on soulignera les numéros de cabotinage de Gary Oldman et Antonio Banderas, respectivement dans les peaux de Jürgen Mossack et Ramón Fonseca. Fil rouge narratif entre chaque segment, ils nous expliquent, en mode Dupond et Dupont face caméra, les rouages des sociétés offshore, auxquels on ne comprend toujours rien hélas, malgré animations, mises en scène loufoques ou spectaculaires, à coup de plans-séquences et punchlines du genre : « C’est légal, c’est de l’optimisation fiscale, dont la distance avec la fraude fiscale est aussi mince qu’un mur de prison ». On vous laisse réfléchir dessus. Le reste du casting vaut également le détour : on y croise ainsi, parfois le temps de quelques plans, James Cromwell, Jeffrey Wright, David Schwimmer, Robert Patrick ou Sharon Stone en agent immobilier quasi méconnaissable. Enfin, Meryl Streep, en veuve et autre personnage fil rouge qui mène sa propre enquête, est excellente.
- Copyright Netflix
Sentant probablement qu’il s’est attaqué à un sujet plus qu’ardu (dix millions de « papers », se résument difficilement en 1h35), Steven Soderbergh conclut certes par une dénonciation des sociétés écrans, mais avant de chercher des poux dans les têtes de Mossack et Fonseca (ils n’ont fait que quelques mois de prison préventive et sont plus ou moins à la retraite sous les cocotiers), il rappelle juste que les États-Unis sont un des premiers paradis fiscaux au monde, avec des États comme le Delaware, le Wyoming ou le Nevada. Sauf que la mise en scène finale, avec pseudo reveal sur l’identité du lanceur d’alerte et source des millions de documents dérobés au cabinet d’avocats, un mystérieux « John Doe », est tout simplement ridicule.
The Laundromat se regarde mollement, et si on en sort pas plus instruit, seuls sa forme assez inventive et un casting qui s’en donne à cœur joie nous sauvent d’un probable ennui. Comme on a du respect pour Steven Soderbergh, on l’excusera ainsi d’avoir tenté d’expliquer l’incompréhensible. Peut être aurait-il fallu confier cela au père d’Antoine de La Foy ? Hélas, il n’est plus de ce monde…
- Copyright Netflix
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(1) Voir la liste ahurissante sur wikipedia ici.
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