Le 9 mai 2023
Le drame sentimental de ce berger qui se confronte au tumulte de la ville est l’occasion de découvrir le travail du fondateur du cinéma tibétain. La seule magnificence de ses images suffit à en faire un cinéaste à suivre de près.
- Réalisateur : Pema Tseden
- Acteurs : Shide Nyima, Tsemdo Thar, Yangshik Tso
- Genre : Drame, Romance, Noir et blanc
- Nationalité : Chinois
- Distributeur : ED Distribution
- Durée : 2h03mn
- Titre original : 塔洛 (Tharlo)
- Date de sortie : 3 janvier 2018
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– Année de production : 2015
Résumé : Tharlo est un berger tibétain qui mène une existence paisible dans la montagne, éloigné des réalités du monde. A l’aune de ses quarante ans, il est convoqué par les autorités locales. Les nouvelles directives du gouvernement imposent la possession d’une carte d’identité pour tous les citoyens de la République Populaire de Chine. Pour la première fois, Tharlo descend en ville. Sa découverte du monde urbain, et sa rencontre avec une jeune coiffeuse, vont bouleverser son existence…
Critique : Même s’il est inconnu en France, Pema Tseden a atteint, dans son pays natal, une certaine notoriété en y devenant, il y a moins de dix ans, le fondateur du cinéma régional. Le Tibet a en effet longtemps représenté un no man’s land culturel où le septième art se limitait aux films de propagande maoïstes. C’est justement sur ce point précis que s’ouvre son quatrième film, à travers le discours récité par le rôle-titre, lui offrant ainsi, dès ses premières secondes, un discours politique sévère envers l’état de soumission que le pouvoir chinois a pu faire subir à son peuple. Le choix du noir et blanc, qui rend sa peinture du Tibet intemporelle, appuie encore plus ce constat d’une région du monde reculée incapable de s’émanciper de son propre passé. D’ailleurs, même si les prises de vue sont d’une splendeur remarquable, le caractère désuet de la technique, notamment dans les prises de son, vont dans le sens de ce décalage artistique. Le procédé de Tseden pour filmer le Tibet d’aujourd’hui est pourtant davantage chargé d’influences occidentales que chinoises. L’épure esthétique et narrative qui caractérise sa réalisation semble même être pensée comme une contradiction radicale à l’usage d’effets stylistiques qui firent les plus grands succès chinois de ces dernières années, de In the Mood for Love à Black Coal.
- Copyright ED Distribution
Son style, misant sur le caractère contemplatif et la composition picturale de ses longs plans fixes, est en réalité directement emprunté à des cinéastes tels que Théo Angelopoulos ou Béla Tarr. Le soin apporté à la place de Tharlo dans le cadre est certainement le choix de mise en scène le plus expressif du drame existentiel que le réalisateur parvient à faire naître de l’histoire de ce berger faisant sa première incursion en ville. Le choix de faire une rupture entre les scènes tournées en ville et celles en montagne, identifiable par leur durée, est également symptomatique du décalage que Tseden veut créer entre ces deux univers, et plus encore dans ce que peux y ressentir le personnage principal. Contrairement à ce qui pourrait sembler de prime abord, les plans les plus étirés ne sont aucunement ceux qui illustrent le désœuvrement de Tharlo, puisqu’ils sont ceux dans lesquels il fait ses rencontres les plus significatives de l’état du Tibet à l’heure de la mondialisation. C’est à l’inverse l’usage d’un montage plus elliptique, et donc plus calqué sur les dogmes de l’école de Pékin, qui rend palpable le temps qui passe et donc son ennui, lui-même appuyé par la solitude liée au fait d’être au centre du cadre.
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Cette excellente mise en scène se fait au profit d’un récit aussi romantique que politique, puisque c’est avant tout son coup de foudre pour une ravissante coiffeuse qui va pousser Tharlo à fuir les steppes désertes pour retourner en ville. L’héritage de la culture bouddhique, et en particulier l’importance que tient la charité (on repense au mythe de Drimé Kunden à qui Pema Tseden avait justement consacré l’un de ses précédents films), est bien présent dans le sens sacrificiel que va prendre cet exode urbain. Dans un plan magistral, lors duquel Tharlo se fait couper sa natte dans un acte symboliquement castrateur, l’impossible mélange entre ces deux univers, de ces deux époques, est magnifiquement dépeint par la place de dominatrice qu’y prend la femme, apparaissant alors comme l’incarnation d’un monde moderne purement individualiste. Ce qui suivra cette scène fatalement programmatique semblera de fait superflu et même quelque peu poussif. Malgré cette difficulté à se terminer, on retiendra surtout de ce mélodrame la magnifique peinture, via le point de vue d’un berger naïf, de l’une des dernières régions d’Asie Centrale en cours d’occidentalisation et les contradictions que cela peut engendrer. Assurément, le cinéma tibétain émergent mérite qu’on lui porte un peu plus d’attention.
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