Le 9 mai 2023
Une production du grand Wong Kar-wai qui choisit l’intimité fantastique et troublante d’un conte, pour parler à demi-mots de la complexité ethnique et géographique du Tibet.


- Réalisateur : Pema Tseden
- Acteurs : Jinpa, Genden Phuntsok, Sonam Wangmo
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Chinois
- Distributeur : ED Distribution
- Durée : 1h26mn
- Date télé : 6 novembre 2024 23:35
- Chaîne : Arte
- Titre original : Jinpa
- Date de sortie : 19 février 2020

L'a vu
Veut le voir
Résumé : Sur une route solitaire traversant les vastes plaines dénudées du Tibet, un camionneur qui avait écrasé un mouton par accident prend un jeune homme en stop. Au cours de la conversation qui s’engage entre eux, le chauffeur remarque que son nouvel ami a un poignard en argent attaché à la jambe et apprend que cet homme se prépare à tuer quelqu’un qui lui a fait du tort à un moment donné de sa vie. A l’instant où il dépose l’auto-stoppeur à un embranchement, le camionneur ne se doute aucunement que les brefs moments qu’ils ont partagés vont tout changer pour l’un comme pour l’autre et que leurs destins sont désormais imbriqués à jamais.
Critique : Jinpa donne son prénom au titre du film. Il conduit son camion, chargé d’amener des vivres aux villageois, à travers les routes désertiques du Tibet, entre le froid, la neige, les cailloux et le sable. Le réalisateur prévient en introduction que son récit est planté dans une région du Tibet, particulièrement pauvre, où les conditions climatiques difficiles ont réduit les paysages à de grands espaces vides. On boit de l’alcool de riz au volant, sans craindre de croiser un autre véhicule. D’ailleurs, notre chauffeur un peu éméché finit par renverser un mouton qui alimentera les familles de son village. Cet homme a le visage barré de lunettes de soleil, il est habillé d’une veste qui lui donne des allures de cow-boy, et il n’a pas grand-chose à voir avec ses concitoyens, qui confient leur vie à la religion et à l’ennui des vastes plaines désertes.
- Copyright Ed Distribution
Jinpa, un conte tibétain est un film hybride. Hybride, parce qu’il mélange les genres, passant du réalisme social au conte fantastique, empreint de mystères. Hybride aussi, car la bande-son contemporaine contraste avec la pauvreté des gens que le metteur en scène filme et leur mode de vie des plus austères. Hybride enfin, parce qu’il dénonce la brutalité des rapports hommes-femmes, les ravages de l’alcool, avec un ton feutré et délicat. Pema Tseden réalise un long-métrage très inspiré qui, derrière cette histoire de vengeance, raconte en réalité les clivages puissants entre des communautés ethniques très différentes. Ces oppositions rendent compte de la difficulté pour le Tibet, a priori autonome, à constituer une nation unique, forte et indépendante de son voisin la Chine.
- Copyright Ed Distribution
La manière de filmer le rêve ou les fantômes qui hantent l’existence de Jinpa est très ingénieuse. L’économie de moyens ne constitue en aucun cas un frein à la poésie qui se dégage de ce récit pénétrant et étrange. Certes, il faut sans doute des clés de compréhension culturelle pour prendre la mesure de la profondeur du récit. Mais le spectateur peut se laisser porter par une ambiance particulière et ressentir la solitude du héros dans son camion, au milieu de ces montagnes somptueuses. Les animaux hantent le ciel ou la terre, à la façon de ces gens qui s’assomment d’alcool dans une auberge de fortune, ou ces couples en faillite qui font l’amour sur des bouts de lit, sans passion. La citation de fin termine à peine ce grand voyage onirique dans des espaces du bout du monde, auquel le cinéma ne nous habitue guère.