Tcheriomouchki’ (Quartier des cerises) - la critique

La mise en scène inventive de Rappaport donne un tonus et un charme kitsch irrésistibles à cette version cinématographique de la comédie musicale de Chostakovitch.

L’argument : A Moscou, où La liste d’attente des demandeurs de logement est longue, vient de s’achever la construction d’un ensemble d’immeubles, le Quartier des Cerises.
Parmi les heureux élus qui vont pouvoir emménager dans un des appartements mis à disposition : un jeune couple marié depuis plusieurs années déjà ; une grutière amoureuse d’un chauffeur de taxi qui ne cesse de repousser sa déclaration ; un veuf dont la maison vient de s’écrouler et sa fille, guide de musée, courtisée par un jeune homme très entreprenant.
Mais un apparatchik dont la jeune épouse ne veut pas se contenter d’un deux-pièces soudoie le concierge qui fait abattre une cloison et ainsi disparaître l’appartement assigné à Olga et à son père.

Notre avis : C’est le 24 janvier 1959 qu’était crée à Moscou la comédie musicale en trois actes Moscou, quartier des Cerises, escapade du grand Dimitri Chostakovitch dans le domaine de la musique légère qui n’a été montée pour la première fois en France qu’en 2004 (à l’Opéra de Lyon, dans une mise en scène de Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps).

Tcheriomouchki’ (Gerbert Rappaport 1962)

Avec une réjouissante verve satirique et la relative liberté de ton tolérée dans la période Khrouchtchev, le livret, signé par les humoristes Vladimir Mass et Mikhaïl Tchervinsky, aborde le problème de la crise du logement en ne se privant pas de stigmatiser les lourdeurs bureaucratiques, les abus de pouvoir et les dysfonctionnements divers qui plombait le quotidien dans l’URSS des années 50.
L’adaptation cinématographique mise en chantier en 1961 respecte l’esprit de l’oeuvre tout en s’écartant parfois de la version scénique, tant au niveau du scénario que la musique partiellement remaniée par le compositeur.
La réalisation en a été confiée à Gerbert Rappaport, véritable spécialiste du genre à la scène comme à l’écran et auteur, entre autre, du superbe Histoire musicale. Celui-ci assume avec bonheur des choix de mise en scène risqués et réussit à faire du film, intitulé simplement Quartier des Cerises, bien autre chose qu’une simple mise en boîte de la pièce.

Tcheriomouchki’ (Gerbert Rappaport 1962)

Plus proche de Powell/Pressburger que de Stanley Donen, Rappaport ne cherche pas à homogénéiser son matériau ni a susciter une quelconque sensation de fluidité mais travaille plutôt à souligner les ruptures et les va-et-viens permanents.
Les séquences musicales démarrent souvent sans prévenir et sont fréquemment interrompues pour reprendre un peu plus loin. Le caractère presque documentaire de prises en extérieur est contredit par des transparences très visibles et des décors de studio très stylisés. Les extravagantes envolées oniriques ont tendance à rebondir alors qu’on croit qu’elles sont terminées produisant un effet de contamination du réel assez déroutant (d’autant qu’un personnage peut se réveiller du rêve fait par un autre). Le passage du parlé au chanté est d’autant plus abrupt que les acteurs sont doublés par des chanteurs ou plutôt miment le chant en playback sur des voix bien différentes des leurs.

Tcheriomouchki’ (Gerbert Rappaport 1962)

La vigueur avec laquelle sont assumés ces partis-pris, l’énergie communicative des interprètes, l’humour confinant parfois à l’absurde (les voisins qui envahissent l’appartement du jeune couple et se disputent sur son aménagement), les invraisemblables couleurs du Sovcolor et bien sûr la musique étonnamment variée de Chostakhovitch, à la fois facile et sophistiquée, donnent à cet objet délicieusement kitsch et daté un charme fou.