Le 12 avril 2017
Une œuvre forte, marquée par un pessimisme aussi diffus qu’implacable.
- Réalisateur : Edward Yang
- Acteurs : Hsiao-Hsien Hou, Su-yun Ko
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Taïwanais
- Editeur vidéo : Carlotta Films
- Durée : 1h59mn
- Date de sortie : 12 avril 2017
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– Année de production : 1985
Résumé : Lung et Chin se connaissent depuis de nombreuses années. Lui est un ancien joueur de base-ball sans véritable ambition professionnelle ; elle a un poste de secrétaire au sein d’un grand cabinet d’architectes. Le sentiment qu’ils éprouvent l’un pour l’autre est un mélange d’amour et d’affection profonde, aux contours flous. Mais le licenciement brutal de Chin va bientôt fissurer leur couple et compromettre leur projet de vie commune…
Notre avis : Deuxième film de Yang, Taipei story raconte le délitement d’un couple, mais inscrit ce délitement dans une perte générale ; ce n’est pas seulement ce couple qui s’effondre, c’est une société entière, perdue. Le cinéaste enregistre la désagrégation d’un modèle humain, un peu à la manière d’un Antonioni taïwanais : car c’est bien d’incommunicabilité qu’il s’agit ; le couple se parle peu, mal, à l’instar de quasiment tous les personnages qui évitent de répondre ou regarder leurs interlocuteurs. Même les étreintes sont inexistantes, réduites à des essais maladroits et sans réciprocité. Comme chez Bresson, la multiplication des portes, embrasures, et donc des sur-cadrages traduit visuellement un enfermement présent dès le début avec la visite de l’appartement et qui ne cesse de cerner les êtres, leur ôtant la liberté de mouvement, mais aussi de parler. Ou plus exactement, car on parle beaucoup, de parler véritablement. Les discussions sont souvent banales, ou portent vers un passé révolu qu’on regrette (le temps où Lung jouait, ou son ami ne faisait pas le taxi…), mais se révèlent incapables d’échanges ; au mieux, comme au bar, on échange des cartes de visite qui suffisent à dire ce qu’on est. Se définir par sa profession, exigence d’un monde porté sur le travail et l’argent, c’est le seul moyen d’exister. D’où la violence du jeune homme, qui n’est plus qu’un ex-joueur.
- Copyright Carlotta Films
Yang excelle à faire se succéder des séquences quasi-autonomes, qui sont autant d’imperceptibles glissements vers la perdition. Le lien entre elles est parfois ténu, et le montage coupe avant l’explication, avant le dénouement. Au total se dessine un monde absurde, privé de sens (en cela le cinéaste est un moderne), un monde gangrené par les écrans, les objets et l’argent. Car s’il y a échanges entre les personnages, ce sont surtout des échanges d’argent : on en donne, on en reçoit, on en espère. Nombre de protagonistes sont démunis et en demande explicite ou pas : le père, le chauffeur de taxi, la mère, la sœur. L’argent s’étale, jusqu’au mur du bar, comme la compensation vaine d’une absence de rapports humains. De même les objets représentent-ils la matérialité absurde du monde, témoin cette fausse bouteille de Pepsi qui, comme les personnages, avance sans but et se cogne contre un obstacle.
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La ville elle-même (après tout, elle figure dans le titre) est un espace clos absurde, en mouvement permanent, à la circulation bruyante ; et, comme le dit un ami, tous les bâtiments se ressemblent, ce à quoi Lung semble ajouter que Los Angeles, c’est comme Taipei. Une planète uniformisée et déshumanisée, voilà ce que Yang décrivait en 1985, ce qui est pour le moins visionnaire… Et pourtant il sait aussi, avec un lyrisme discret, ménager des pauses à ses personnages, avec la magnifique escapade à la mer et un moment de tendresse citadin muet. Ajoutons que dans ce cinéma de l’insignifiant, du détail, l’émotion affleure constamment, mais avec une retenue exemplaire. Qu’on ne s’y trompe pas cependant : le constat est noir, très noir, à l’image des nombreuses séquences nocturnes peu éclairées et de son lent dénouement, et la beauté des cadrages comme l’intelligence du montage ajoutent à la désespérance sourde qui émane de cette œuvre limpide et puissante.
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