Il est question de destin, absurde ou lumineux, dans ce roman délicat, de lignée à laquelle on échappe ou pas. Il est question de l’insoutenable poids du monde, dont seul l’amour, peut-être, affranchit.
Sumo sur brin d’herbe suit deux êtres prisonniers de leur passé. Léon, l’ex-sniper revenu d’à peu près tout, rongeant ses aigreurs comme un chien son os. Constantin, le pas fini, la personnalité en béance parce que son père n’a jamais su faire ces gestes, dire ces mots qui scellent un homme, l’envoient plus fort et entier dans la vie.
A priori, on a là deux solitaires, deux mutiques mal taillés pour les rondeurs sociales. Mais alors que Léon s’enferme, tient un siège forcément sans issue, Constantin marche. Elles sont sa thérapie et son langage, ses jambes qui au bout d’un moment jouent seules leur partition tantôt familière, tantôt improvisée.
A entendre comment il parle à ses plantes et chérit un vieil orgue de Barbarie, à voir comment il se laisse emporter par Blanche, mélange de force et de pâleur vacillante elle aussi tenue en laisse par son histoire familiale, on comprend que Constantin trimballe en dedans des lacs de tendresse si profonds qu’au détour d’une phrase, on s’y noie jusqu’au cœur. Mais toujours, Millon nous sauve en jetant quelque bouée d’humour.
L’auteur, c’est sûr, a puisé dans ces mêmes lacs pour poser un regard aussi juste, aussi impliqué mais dénué de jugement sur des personnalités en carence plus ou moins sévère, plus ou moins irréversible.
Et puis il y a cette écriture qui swingue, qui joue sur les nuances et les variations comme un jazzman le ferait avec son saxo, en passeur de joie fragile, de gravité ordinaire. Ça se balade, ça s’envole, ça vrille l’âme par moment. On se retient tout juste d’applaudir....