Désert glacial
Le 21 juillet 2020
Portés par un excellent casting et une réalisation plus proche du cinéma que de la série, ces six épisodes, en récit choral, nous plongent dans l’enfer d’un centre de réfugiés, en plein désert d’Australie. Un autre enfer aussi, de l’autre côté des grillages et barbelés. Entre thriller et quasi documentaire.
- Réalisateurs : Emma Freeman - Jocelyn Moorhouse
- Acteurs : Cate Blanchett, Dominic West, Jai Courtney, Yvonne Strahovski, Rachel House, Asher Keddie, Fayssal Bazzi, Marta Dusseldorp
- Nationalité : Australien
- Durée : 6 épisodes de 50 à 56 minutes
- VOD : NETFLIX
- Reprise: 10 juillet 2020
- Scénaristes : Elise McCredie, Belinda Chayko
- Titre original : Stateless
- Âge : Interdit aux moins de 16 ans
- Date de sortie : 1er mars 2020
- Plus d'informations : Stateless
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Résumé : Quatre étrangers – une femme en fuite, un réfugié courageux, une fonctionnaire déterminée et un père en détresse – se croisent dans un centre pour migrants en Australie.
Critique : Après un carton sobre sur fond noir « Inspired by True Events », nous suivons une femme, le visage sale, presque vêtue de guenilles, courant en plein désert. Elle fuit, c’est indiscutable. Elle s’agenouille pour reprendre son souffle, tandis qu’un ballon rouge d’enfant, porté part le vent, passe au dessus de sa tête. Démarre un vieux standard des années 40, Ac-Cent-Tchu-Ate the Positive, chanté par Cate Blanchett. Carton « STATELESS ». Cut. Cate chante toujours, la femme du désert est une hôtesse de l’air, Sofie, et elle quitte un aéroport australien afin de rejoindre sa famille, pour le réveillon. En montage parallèle, nous suivons l’arrivée d’Ameer et sa famille, réfugiés afghans, dans un hôtel sordide, pour un rendez-vous avec leur passeur pour l’Australie ; Cam, un ouvrier et père de famille australien, trime dans une casse automobile ; et donc Sofie, pendant un très pénible dîner de Noël. Cette ouverture, entre thriller et comédie dramatique familiale, est surtout une embrouille. Ce premier épisode pose les bases sournoises d’une mécanique qui va devenir de plus en plus âpre, tendue, éprouvante, épuisante, voire terrifiante.
- Copyright Netflix
Si Stateless s’appuie sur l’affaire Cornelia Rau, une Allemande qui passa quasiment un an dans un camp de réfugiés, elle est n’en est que le fragile fil rouge, à l’image de la psychologie de son double de fiction, Sofie (impressionnante Yvonne Strahovski), d’une charge froide sur un système australien où il ne fait - a priori - pas bon être réfugié. Depuis des années, sa politique d’immigration s’est durcie à l’encontre de flux venant d’Afghanistan, du Sri Lanka ou du Moyen-Orient, et arrivant par la mer, depuis l’Indonésie. Quand les embarcations ne sont pas refoulées - et disparaissent dans les flots - les réfugiés finissent dans des « centres administratifs ». En fait, des baraquements en plein désert servant de « chambres », cernés de grillages et barbelés, truffés de vidéos, avec un personnel « d’accueil » équipé de matraques et menottes. Un lieu où nous allons nous « installer » pendant six épisodes. Les activités sur place ? Rien, à part tourner en rond dans une cour en terre battue, en attendant, selon le bon vouloir d’un agent administratif, d’être reçu pour un interrogatoire d’enquête sur les activités dans son pays d’origine, ses intentions, avant de se voir accorder un visa. Ou être remis manu militari dans un vol pour Kaboul, Kotte ou Bagdad. Cette politique est loin d’être populaire sur place et à l’international. Parmi les défenseurs et porte-parole d’un drame touchant 70 millions de personnes, fuyant guerres et persécutions, dont la moitié d’enfants, il y a Cate Blanchett, qui depuis 2016, est ambassadrice de bonne volonté du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (1). Elle est également créatrice et productrice de cette mini-série.
- Copyright Ben King/Netflix
La grande force de Stateless consiste dans une tentative : porter un regard « objectif » et, par là-même, clinique sur une situation qui ne peut pas se résumer à des postures binaires. Oui, le sort de ces migrants est terrible, mais de l’autre côté du grillage, ce n’est pas aussi simple. Les auteurs, Tony Ayres, Elise McCredie et Belinda Chayko, tissent un complexe récit choral où se mêlent les destins de réfugiés (Ameer et ses déboires liés à un passeur véritable ordure, un père prêt à tout pour retrouver femme et enfants, ou cet homme qui attend avec sa valise depuis sept ans…), mais aussi les surveillants et surveillantes du camp, les administratifs, des politiques, journalistes et militants contre la politique australienne. Une politique qui, comme le dit un personnage, consiste surtout à mettre une couvercle sur de l’eau qui boue. Sauf que l’eau boue partout. Dans le camp, mais aussi dans ses bureaux. On découvre que sa gestion est assurée par une compagnie privée et que, faute de moyens, ou par volonté du gouvernement, les dossiers des réfugiés, appelés par un matricule comme en prison et non pas par leurs noms, s’empilent dans un véritable capharnaüm qu’une détachée du ministère tente d’élaguer. Pour sa part, Cam, devenu gardien et mieux payé qu’à la casse, se retrouve vite tiraillé entre préserver son nouveau confort de vie pour sa famille, et subir la vie infernale dans le camp. Stateless démontre alors que tout ce monde n’est que des pions d’un jeu dont les règles nébuleuses sont écrites par une administration aux abonnés absents. Sauf quand il s’agit de donner des ordres, pour étouffer des cas délicats ou jouer la comédie, lors de la visite d’une association des droits de l’homme : les gardiens s’empressent de rendre les choses « présentables », pour éviter la fermeture du camp et se retrouver alors au chômage. De leur côté, les réfugiés ne font aucune vague, sous peine de se voir refuser leur futur visa. Kafkaïen.
- Copyright Ben King/Netflix
Stateless est presque à voir comme un documentaire. Bien sûr, il y a de multiples intrigues, des suspenses et quelques scènes à fort pathos, indispensables pour dénoncer les horreurs vécues par les réfugiés, comme cette femme racontant, lors de son interrogatoire, que dans son pays elle a été persécutée, violée et que ce n’est pas une gratte-papier australienne qui va l’impressionner. Mais Stateless se limite plus à une chronique en mode choral, avec peu d’interpénétrations entre les destins des uns et des autres, et, hélas, ne résout rien. La série s’achève ainsi sur des sacrifices, des interrogations et situations en suspens ou, pis, irrémédiablement figées.
Le casting est excellent et impressionnant, avec peu de célébrités, Cate Blanchett s’offrant un rôle plus que malsain (et chantant…) dans le premier épisode. Quant à la réalisation, plutôt cinématographique - on pense à quelques moments contemplatifs à la Terrence Malick -, elle est juste et sobre. De toute façon, un tel sujet oblige à, pour ne pas dire exhorte à, cette grande qualité de production. Si bien que dans le catalogue « haut de gamme » de Netflix, Stateless est à classer aux côtés du poignant Unbelievable ou du récent glacial Kalifat.
Si la mini-série se conclut avec des cartons expliquant que de nombreux dysfonctionnements ont été corrigés, mais que la situation reste toujours opaque, tout du moins pour les médias, il convient de préciser qu’au cours de ces dix dernières années, l’Australie a accueilli presque autant de réfugiés réinstallés qu’en Europe.
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(1) Un panorama de ses actions sur le site du HCR, ici.
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