Daesh en Suède. Et réciproquement.
Le 17 avril 2020
Vertigineux récit choral entre Raqqa, capitale de l’État islamique et la Suède, à la fois thriller et quasi-documentaire.
- Série : Kalifat
- Acteurs : Gizem Erdogan, Aliette Opheim, Nora Rios, Lancelot Ncube
- Nationalité : Suédois
- Durée : 8 épisodes de 47 à 54 minutes
- VOD : NETFLIX
- Reprise: 18 mars 2020
- Date de sortie : 12 janvier 2020
- Plus d'informations : Kalifat
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Résumé : Alors que l’État islamique prépare un attentat contre la Suède, les destins d’une mère en galère, d’une étudiante pleine de vie et d’une flic ambitieuse s’entrecroisent.
Notre avis. Combinant immersion dans le quotidien à Raqqa et traque policière en Suède, Kalifat, série créée par Wilhelm Behrman et Nikolas Rockström, après une première diffusion sur la chaîne suédoise SVT, maintenant disponible sur Netflix, est clairement à ne pas manquer.
2015. Depuis deux ans, la ville de Raqqa, tombée entre les mains de Daesh a été auto-proclamée capitale de « son » État islamique occupant une partie de la Syrie. Y affluent des « combattants » venant d’Europe et d’ailleurs, avec femmes et enfants, pour rejoindre l’organisation terroriste afin d’aider, enseigner, se former au combat, se battre sur place, faire du renseignement, préparer des attendants ou, plus grave, retourner à la case départ pour de l’infiltration et du recrutement. Une véritable pieuvre qui met sur les dents tous les services de renseignements et polices d’Occident. En particulier en Suède, où l’extrême droite commence à remporter des sièges et où les amalgames anti-islam primaires gangrènent une partie de la société.
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Sur cette toile de fond, Kalifat, en forme de récit choral, évoque le destin de cinq femmes : Pervin (Gizem Erdogan), jeune maman d’une fille de quelques mois, qui a suivi son mari djihadiste à Raqqa ; elle ne supporte plus cet enfer et cherche à tout prix à retourner en Suède. Ensuite, Fatima (Aliette Opheim), agent au Säpo, la sûreté suédoise, rapidement en contact avec Pervin (nous ne spoilons rien, c’est le point de départ de la série), qui traque un mystérieux « voyageur » pour déjouer ses sinistres projets. Enfin trois adolescentes, Sulle (Nora Rios), sa petite sœur Lisha et Kerima, une fille paumée vivant seule avec un père alcoolique. Toutes les trois se découvrent un intérêt dangereusement glissant pour l’islam radical. On pourrait citer d’autres destins et personnages, à commencer par ce « voyageur », un infiltré de Daesh. On n’en dira pas plus, bien qu’il soit mis au grand jour dès le début, tout du moins pour le spectateur.
Kalifat est une série totalement prenante. La tension, et donc sa puissance, viennent surtout de son traitement quasi documentaire. Bien sûr, pour la partie « thriller » menée par Fatima, on pense un peu à Homeland, voire à un Bureau des Légendes en moins sophistiqué, mais l’ensemble s’avère bien plus proche de Gomorra, le film de Matteo Garrone (2008), qui décrit le quotidien d’un quartier de Naples contrôlé par la mafia, zone totale de non-droit et monstrueux supermarché de la drogue. Comme dans Gomorra, c’est sur les paumés et sous-fifres commandés ou manipulés par des chefaillons de Daesh, et sa bureaucratie, que le caméra se porte. Une caméra épaule, serrant au plus près des personnages plongés dans des situations qu’ils génèrent, maîtrisent ou, inversement, qui leur échappent totalement. Les parties à Raqqa (tournées en Jordanie) sont étouffantes, car elles se déroulent essentiellement en huis-clos dans la « maison » de Pervin. On vit littéralement avec elle et sa petite famille, dans la promiscuité d’un aménagement fait de bric et de broc. On cuisine, on mange, on dort au rythme des prières ou des cris et biberons du bébé, et des rares sorties, la boule au ventre, dans une ville défigurée, où se côtoient femmes intégralement voilées, hommes et enfants armés à tous les coins de rues. Et comme Pervin, on espère fuir de cet immonde gourbi où l’ennui est la principale activité pour ces femmes recluses qui, de temps en temps, jettent un œil à travers une vitre brisée, avant de la recouvrir d’un bout de carton, chacune s’espionnant plus ou moins.
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Les récits progressent en parallèle, au fil des huit épisodes, méthodiques et cliniques. Comme les souvenirs des attentats de 2015 sont définitivement ancrés dans nos mémoires, nous pensons inévitablement qu’il faut s’attendre au pire, les auteurs ne se privant pas de faire évoquer par des personnages la tuerie de Charlie Hebdo, histoire d’accroître la pression. Si le suspense semble parfois distendu, il n’en demeure pas moins oppressant. Pardon pour l’analogie, mais comme dans un Columbo, si nous savons qui sont les « coupables », la tension s’installe sournoisement dans la narration du (ou des ?) mode(s) opératoire(s), via de vicieuses et sinistres touches impressionnistes - avec tout de même quelques cliffhangers - sans qu’on n’en perçoive la finalité, son cynisme, et surtout où et quand ?
L’interprétation des cinq femmes, ainsi que celle de ce « voyageur » (Lancelot Ncube) sont impressionnantes et la réalisation, parfois faussement à l’arrache, est en fait parfaitement maîtrisée, avec notamment quelques plans-séquences de haut niveau, ceux dont on ne se rend compte qu’au cut du changement de cadre, au bout de deux minutes.
Enfin, si la série est fermée avec un final dont on ne vous dira rien, comme dit le proverbe, le diable se cachant - hélas - dans les détails, Netflix et les scénaristes ont des options pour une possible suite. Sur un sujet hautement sensible et douloureux, Kalifat réussit ainsi l’habile et délicat assemblage, entre réalisme et pure fiction. À voir.
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