Si le vent te fait peur - La critique + Le test DVD

Un exercice de style esthétisant et très maîtrisé qui séduit mais peine à captiver.

L’argument : Si le vent te fait peur traite du caractère ambigu de la relation incestueuse entre un frère et une soeur et plonge le spectateur dans les paysages encore vierges, quasi-lunaires, de la mer du Nord.

Notre avis : Emile Degelin, cinéaste belge né à Diest en 1926, a réalisé de nombreux documentaires, des courts-métrages expérimentaux, ainsi que cinq long-métrages. Plusieurs de ses films ont récolté des prix dans les festivals, sans pour autant connaître une très large diffusion. Il enseigna la mise en scène à l’école néerlandophone de cinéma de Bruxelles (RITS) de 1962 à 1992 et écrivit aussi plusieurs romans.
Son premier long-métrage, Si le vent te fait peur, présenté à Cannes en 1960, est contemporain de la Nouvelle-Vague à laquelle le rattachent ses conditions de production et certains partis-pris stylistiques (moyens réduits, jeunes acteurs inconnus, décors naturels, post-synchronisation, voix off...).
A l’arrivée pourtant on est bien loin de la liberté de ton et de la grisante sensation de découverte d’un nouveau langage (et d’un nouveau monde) qui caractérise les films de Godard, Rozier et consorts.
Car si la photogénie des plages de la mer du Nord (et celle d’une ville flamande) est admirablement rendue par la très belle image noir et blanc, cette beauté, qui impressionne, apparaît bien vite comme une fin en soi et finit par lasser.
Thème central autour duquel le film développe ses variations et ses arabesques, la relation incestueuse entre frère et soeur, donne à l’ensemble un petit parfum sulfureux.
Mais le commentaire, qui met d’emblée les points sur les i, désamorce la charge déstabilisante qu’une approche plus détournée aurait peut-être permis de lui conférer.
Pourtant des efforts notables sont fait pour introduire humour et légèreté (l’échange de vêtements dans les toilettes publiques) et les acteurs sont remarquables : Elisabeth Dulac est pleine de charme et de vivacité et son partenaire garde une retenue qui n’est pas sans mystère.
L’envolée qu’on pressent par moments est malheureusement freinée par des dialogues pompeux, littéraires, visant une universalité bien abstraite, et des voix prisonnières d’inflexions trahissant le conservatoire d’art dramatique !
Quant à la très belle partition jazzy de Martial Solal, elle écrase les images et leur ôte toute respiration propre.
Si le talent de Degelin et sa maîtrise de la matière cinématographique sont incontestables, ils produisent ici un objet indiscutablement séduisant mais dont la perfection même exclut l’émotion.
Ces réserves ne sauraient minimiser l’importance du travail de ce cinéaste à (re)découvrir dont l’oeuvre témoigne de hautes ambitions et d’un talent indiscutable.

Le DVD

Malavida distribue en France un double DVD de la Cinémathèque belge consacré à Emile Degelin. L’occasion de faire ample connaissance avec ce cinéaste remarquable, quasiment inconnu chez nous. Disponible depuis le 21 juin 2010 exclusivement à la vente sur la Fnac.fr, Amazon.fr et le site de l’éditeur.

Les suppléments

Un travail éditorial tout à fait exceptionnel a été accompli ici :
– Un deuxième long-métrage à l’humour absurde et décalé, datant de 1966, Y mañana, hommage au cinéma muet, nous permet d’assister, sur la côte espagnole, à une amusante prestation de Jacques Dufilho en gendarme touriste récitant des répliques en castillan de méthode assimil. Le film frappe par la force documentaire de certains plans, d’autant que la photo et la composition sont souvent d’une beauté à couper le souffle. Le film reste avant tout un brillant exercice de style mais son caractère a-narratif et des choix musicaux judicieux lui donnent la respiration qui faisait défaut à Si le vent te fait peur. Quelques moments de grâce véritable.

– Deux courts-métrages de caractère franchement expérimental, Dock, au très beau travail sur la couleur, et Sirènes (musique de Lucianno Berio), sont des essais cinématographiques de toute beauté, la forme brève convenant le mieux, de toute évidence, au talent du cinéaste.

– Enfin un remarquable documentaire-portrait, réalisé en 2009, permet de retracer le parcours d’Emile Degelin en sa compagnie.

Image

Quelques rayures blanches passagères sur la copie de Si le vent te fait peur ne sauraient entacher le plaisir que procure la qualité superlative de la photo noir et blanc idéalement reportée sur DVD. Contrastes, définition, luminosité : tout est irréprochable.

Son

Son mono sans bavure. Du très bon travail là aussi qui donne tout son impact à la musique, omniprésente dans tous ces films.