Le 6 avril 2024
Une admirable adaptation des nouvelles de Raymond Carver qui entrecroise des destins avec le génie « choral » d’Altman.
- Réalisateur : Robert Altman
- Acteurs : Frances McDormand, Jack Lemmon, Julianne Moore, Tim Robbins, Andie MacDowell, Jennifer Jason Leigh, Robert Downey Jr., Lily Tomlin, Lili Taylor, Chris Penn, Matthew Modine, Tom Waits, Anne Archer, Peter Gallagher, Fred Ward, Bruce Davison, Madeleine Stowe
- Genre : Comédie dramatique, Film choral
- Nationalité : Américain
- Durée : 3h05mn
- Box-office : 675 980 entrées (France) ; 6 110 979 $ (USA)
- Date de sortie : 5 janvier 1994
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Résumé : Librement inspiré de neuf nouvelles et d’un poème de Raymond Carver, "Short Cuts" est un voyage à travers le Los Angeles des années 90, une fresque intimiste ou s’entremêlent les destins contrastés de 22 personnages aux prises avec les drames, les émotions, les plaisirs, les surprises et les hasards de la vie quotidienne.
Critique : Au tout début de Short Cuts, en même temps que défile le générique, un ballet étrange d’hélicoptères déverse un insecticide dans le cadre d’une « guerre » contre une mouche dangereuse. Parallèlement, des personnages assistent à un concert, écoutent une chanteuse de jazz ou regardent une émission de télé qui concerne l’épandage. Presque sans mots, par un jeu de montage et de liens visuels et auditifs, Altman crée une collusion entre ces visages qui vont peu à peu devenir familier et nous comprendrons ce qui les réunit. À la fin, c’est un tremblement de terre qui de nouveau rassemble les protagonistes. Évidemment, entre les deux, ce sont trois heures de film qui auront densifié les personnages au gré de péripéties plus ou moins graves mais qui les auront transformés. Néanmoins, ces deux dangers qui viennent de l’air ou de la terre ne sont pas les vrais menaces : le séisme ne fait pas de victimes (le seul décès ne lui est pas lié), et des mouches ou du pesticide on n’entendra presque plus parler. Non, le danger, l’unique danger, c’est bien sûr l’humain dans sa complexité : ce peut être un accident (renverser un garçon), un meurtre ou un suicide, mais surtout une succession de névroses et de frustrations, d’indifférences ou de jalousies. Comme Carver, qu’il adapte ici avec génie, Altman s’attache à ces tous petits basculements, ces balancements incessants qui font passer d’un moment doux à une fâcherie (la femme que son mari « rend heureuse » juste avant qu’il lui avoue avoir pêché sans se soucier d’un cadavre dans la rivière), d’une fâcherie à un moment doux. Et puis il y a tous ces non-dits qui empoisonnent, à l’image de la violoncelliste qui ne cesse d’attirer l’attention de sa mère, ou de Jerry, qui entretient des piscines et accumule les humiliations.
Le premier miracle, évidemment, c’est que le cinéaste ne nous perde jamais dans cette galerie inouïe (22 personnages !), et qu’il passe avec maestria des uns aux autres par l’utilisation d’un nombre incroyable de procédés. Que ce soit par un simple écho (un verre de lait qui passe de l’écran à un intérieur), la profondeur de champ ou un travelling qui découvrent un protagoniste, une chanson, un lieu, Altman met tout en œuvre pour créer un réseau dense destiné à unir toutes ses figures et à rendre cohérent cet univers éclaté qui se résout finalement en un monde cohérent et quasi clos. Mais si on admire constamment la virtuosité, elle n’est jamais gratuite, montrant des êtres humains englués dans des médiocrités et des mensonges qui ne cessent de se répondre. De même pourra-t-on suivre de curieuses pistes, comme celle de Jéopardy, celle des poissons ou de quelques répliques qui reviennent, comme ce prémonitoire : « Ça peut foutre tout en l’air »...
Le second miracle, et là encore qui tient en partie à Carver, vient de ce que, partant de petites histoires parallèles, le film touche le spectateur au plus profond, sans pathos ni plaisanteries grasses : on est dans la litote constante (voir ainsi avec quelle pudeur sont traitées les deux morts, celle du garçon comme celle de la violoncelliste), dans l’affleurement. Pour autant, la crudité peut surgir, même incongrue comme dans les séquences incroyables de téléphone érotique et toutes leurs conséquences ou la nudité s’afficher. Altman trouve à chaque instant la bonne distance pour faire une sorte d’état des lieux de la civilisation occidentale, mais un état des lieux incarné au sens fort, illuminé par des comédiens superlatifs (la liste est aussi longue que prestigieuse) et qui ne verse pas dans la caricature ou même la simplification. Comme le dit la chanson finale avec cette banalité touchante, « tantôt on nage dans le bonheur, tantôt dans la douleur » ; dans cette oscillation imprévisible entre farce et tragédie, se tiennent nos vies, et celles du film. Du très grand art.
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