Le 11 juillet 2024
Altman signe une œuvre ambitieuse mais difficile en ce qu’elle cache ses enjeux sous une narration flottante.
- Réalisateur : Robert Altman
- Acteurs : Paul Newman, Harvey Keitel, Burt Lancaster, Geraldine Chaplin, Shelley Duvall, Kevin McCarthy, Joel Grey
- Genre : Comédie, Western
- Nationalité : Américain
- Durée : 2h03mn
- Titre original : Buffalo Bill and the Indians, or Sitting Bull's History Lesson
- Date de sortie : 24 septembre 1976
- Festival : Festival de Berlin 1976
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Résumé : En 1885, Buffalo Bill prépare son "Wild West Show" et le chef Sitting Bull accepte d’y participer, après avoir été capturé par l’armée. Mais lorsque le président des États-Unis assiste au spectacle, le chef indien change légèrement ses plans...
Critique : Même en pleine période de contestation forte du western, on comprend la perplexité du public, et d’une partie de la critique devant ce film singulier qui ne quitte jamais le cirque de Buffalo Bill et, somme toute, ne raconte presque rien. Difficile d’imaginer narration plus lâche et intentions plus floues : que se passe-t-il dans Buffalo Bill et les Indiens ? Les aléas d’un spectacle, les ennuis avec un Sitting Bull récalcitrant, la visite d’un président ; presque rien. Le grand événement, la mort du chef, est hors-champ, comme sa traque est elliptique. Dépourvu d’intrigues, le métrage s’attache en revanche à saisir un monde clos, dans une confusion permanente, à tel point que les discours s’entremêlent souvent, un monde bouillonnant mais la plupart du temps d’une énergie qui tourne à vide.
La figure du héros est (évidemment) singulièrement écornée : Paul Newman compose un Buffalo Bill cabotin, phraseur, piètre cavalier, colérique, affublé d’une perruque et sans cesse dépassé ; il ne parvient pas à tuer un canari malgré un nombre de coups de feu impressionnant, exploit dérisoire et in fine raté. Mais cette scène anodine n’est qu’un des nombreux échecs qui rythment l’histoire : la photo de groupe avorte, la traque de Sitting Bull se termine par un retour piteux, la dernière cantatrice se refuse à lui, Oakley blesse son mari en visant des cibles, et le « combat » triomphal qui clôt le film, combat pathétique, se fait avec un faux chef indien. C’est que, pour Altman, l’échec vient de la supercherie initiale : Bill n’est pas un héros, mais « l’amuseur national », une construction que se revendiquent deux personnes dans les premières minutes. De là une réflexion sur le vrai, le faux et l’authentique sans cesse proclamé. Au fond, le grand cinéaste iconoclaste s’attaque non seulement à l’Histoire de son pays, transformée en spectacle médiocre, à sa falsification, mais encore au spectacle lui-même, comme si la société américaine n’était plus capable que de ressasser une gloire apocryphe : le rêve est éteint, et peut-être même n’a-t-il jamais existé. Il est remarquable d’ailleurs qu’Altman, fidèle à son style, privilégie constamment le plan général, noyant ses personnages dans un ensemble de gestes et de discours confus. Il n’y a plus de héros, mais des spectateurs d’un cirque qui tourne à vide. De là également la profusion de miroirs, les jumelles : la pulsion scopique l’emporte, définitivement, et l’apparence est reine.
Mais Buffalo Bill et les Indiens est également une belle réflexion sur la vieillesse et la solitude : le vieux renard incarné par Burt Lancaster le dit à Bill : « tu as tout ce que tu as désiré » ; outre la médiocrité de ce but, cinglante, cette phrase pose la question de l’après : que se passe-t-il quand on atteint son objectif ? Ne reste plus qu’un homme vieillissant, qui n’a plus personne à qui parler à part le fantôme de Sitting Bull, un portrait figé, une marionnette (le film se termine presque par un spectacle de marionnettes qui dédouble le show en le dégradant encore) à la fois adulée et creuse.
Avec ce film culotté, Altman est loin d’avoir choisi la facilité : lent, apparemment brouillon, il constitue une anti-épopée satirique qui fait de la vie d’un fantoche une méditation sur le vide existentiel. D’où cette lenteur qui s’attache perpétuellement à l’anecdotique, au presque rien. Du mythe de l’Ouest ne demeure qu’un discours contrefait, ou plutôt un ensemble de discours ressassés et parfois contradictoires. Imprimez la légende, disait Ford ; encore fallait-il qu’elle soit belle... Convenons-en, on n’est pas loin d’une œuvre expérimentale qui, malgré la notoriété de Paul Newman, n’a évidemment pas été un grand succès : impossible de s’identifier à pareil bouffon ou d’être happé par des péripéties inexistantes et le spectateur risque l’ennui au long de ces deux heures atypiques. Mais ce cinéma singulier, dispersé, si on fait l’effort de le regarder de près, reste une tentative passionnante et hautement stimulante.
– Ours d’or du meilleur film à la Berlinale 1976
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