Copyright Quidam éditeur, 2018

Notre avis : Construit sur un effet de mise en abyme, le texte de Philippe Annocque brouille les frontières entre réalité et fiction : on ne sait pas si la parole que délègue un premier narrateur au dénommé Herbert Kahn, selon le principe du récit enchâssé, fait de ce qui suit le produit d’une pure invention ou le témoignage d’une expérience vécue. Mais ces subtilités formelles nous intéressent peu, au fond, dès lors que le procédé n’est pas nouveau, qu’en matière de textes gigognes on ne fera jamais plus tordu que Les Faux-Monnayeurs. Non, notre simple réflexe de lecteur candide consiste à chercher le plaisir là où, naturellement, le roman le dispense, à travers une histoire attrayante et des personnages consistants, auxquels on a la faiblesse de s’attacher. Or, force est de constater qu’ici ça ne prend pas et d’autant moins qu’après les circonvolutions littéraires du début, sur le mode « je connais les codes romanesques et je joue avec », le reste, dans sa consistance déceptive, crée une sorte d’agacement.
Tout ça pour ça, tout ça pour une banale histoire de rencontre sur Internet, qui enfile les clichés numériques. Rien de ce qui crée la dépendance virtuelle, née d’un fantasme, ne nous sera épargné : messages instantanés, d’une banalité de cassoulet en plein Castelnaudary, exhibitions sur cam pour faire monter la sauce, attachement, détachement, départ, retour, connexion, déconnexion, chronophagie, temps creusé dans le temps conjugal - les deux personnages ont une famille -, contrebande sentimentale à des heures propices... La chair déborde sur les mots, mais elle est triste, comme dirait l’autre, surtout lorsqu’elle ouvre le vide d’une distance irréparable. La conclusion est sans appel : des conversations qui ne sont pas IRL, ça ne produit que de la redite. Pas la peine de les publier in extenso, elles intéressent seulement ceux qui les garderont en guise de souvenirs, lorsqu’ils se seront extraits de la dépendance. Les autres n’ont pas besoin de savoir que dans la vraie vie, les histoires d’amour n’ont pas la même gueule.