Le 5 octobre 2018
En 1967, les Beatles subjuguent la planète, avec un album devenu pierre angulaire de la culture pop.
Copyright Peter Blake/Apple Corps Ltd.Notre avis : Il en est de Sergeant Pepper comme de n’importe quel classique, qui se confond avec son genre : ainsi, prétend-on que le plus célèbre album des Fab Four constitue la quintessence de la pop ou, si l’on enfonce le clou, la substantifique moelle d’un rock, enfin entré dans son âge mur, enfin délesté de son nom trop embarrassant. Par là, il s’agirait de comprendre que les Beatles ont d’abord été de grands dadais, un peu gauches, enfants naturels des Everly Brothers, de Chuck Berry et de Buddy Holly jusqu’à Help. Si la mue s’est amorcée avec Rubber Soul, poursuivie avec Revolver, annonciateur d’une grande période studio, à partir de novembre 1966, c’est bien le moins que l’on pouvait attendre d’un groupe dont certaines "cadences éoliennes" (sic) avaient déjà été repérées par un critique anglais sur le second album : parce qu’il convenait que la musique des Scarabées se métisse en intégrant les influences de la musique orientale, du ragtime, du psychédélisme, que les notes deviennent palettes dans un syncrétisme dont le monde se souviendrait, le groupe a offert à l’Occident la bande-son qu’il attendait. Mais ce ne serait pas tout.
Il faudrait, en sus, tisser la trame d’un spectacle mené tambour battant par un groupe d’emprunt et l’ensemble des morceaux constituerait la playlist. Le tour serait joué : tout le monde hurlerait à l’album concept et la configuration ferait jurisprudence. Bientôt, chacun voudrait signer sa pièce montée d’un doigt crémeux : dans le désordre, King Crimson, Led Zeppelin et même les Stones, qui singeraient jusqu’à la caricature leurs meilleurs ennemis dans un album dispensable.
Lorsqu’ils s’isolent pendant plus de six mois pour tailler la pierre angulaire d’une époque, les Beatles se reforment : parce que chacun des Fab Four avait profité d’une période de répit pour exister en tant qu’individu, ce qui n’était pas arrivé depuis que les petits gars s’étaient offert du bon temps à Hambourg. En gros, depuis l’époque où, avant de rencontrer Brian Epstein, ils vivotaient sans savoir s’ils séduiraient un grand label, s’ils deviendraient cet hydre à quatre têtes qui subjuguerait Mick Jagger et rendrait chèvre un autre Brian : Wilson.
La légende est tenace : elle raconte un voyage transatlantique de Paul McCartney. A cette époque, le bassiste, durablement impressionné par le Pet Sounds des Beach Boys, entreprend d’en remontrer à son épigone yankee : tandis que le talenteux auteur de God only knows tente d’achever ce qui deviendra son tombeau -le mythique Smile-, Paulo débarque avec une de ses mélodies imparables, comme il continuera d’en pondre avec les Wings, alter-ego en moins, arrogance en plus. Le mythe raconte qu’aux premières notes de She’s leaving home, renversante élégie sur la fugue d’une adolescente, l’autre génie à frange renonça au combat pour s’abîmer dans la déprime.
Le Fab One repartit avec son sourire et sa chanson sous le bras, sans doute ravi d’avoir remporté par KO une victoire qui augurait d’un défilé olympien.
En effet, dès les premières mesures, Sergeant Pepper a des allures de triomphe : la voix rock de Macca se pose sur un tapis de guitares électriques, avant que la fanfare lourdement municipale des Coeurs Solitaires ne vienne ralentir la primesautière impression d’énergie : en vérité, ces Lonely Hearts signaient d’un drôle de patronyme, surtout pour un groupe adulé par la Terre entière, mais qui vivait dans l’oeil du cyclone, alors que la planète rock inventait l’iconographie idolâtre. Jouant de leur image jusqu’à la pochette devenue mythique, les quatre fabuleux envoient valser le concept d’un album cohérent au bout du troisième morceau : Lennon avait donc raison, qui dénonça l’arnaque dans une célèbre interview donnée au magazine Rolling Stone. Plus suiveur qu’instigateur, il pouvait se greffer à l’entreprise avec une nonchalance insolente, lâchant quelques fulgurances comme Lucy in the Sky With Diamonds, trop facilement réduit à quelques lettres acronymes, ou Being For The Benefit of Mister Kite, qui tricotait dans les oreilles l’air entêtant d’un orgue de barbarie.
Quelques mois auparavant, le duo John/Paul plastronnait déjà, sûr que sous ses doigts fertiles naîtraient des tubes à la pelle : "Ecrivons-nous une piscine" plaisantaient les deux insolents, avant d’empoigner leurs guitares. Avec Sergeant Pepper, ils inauguraient leur complexe nautique, juxtaposant leurs trouvailles dans des morceaux qui, chacun, les identifiaient -comment ne pas reconnaître McCartney dans le sautillant When I’m sixty four-, avant de fusionner en apothéose dans une pièce de choix : A day in the life. Si ce morceau mériterait à lui seul l’ensemble des éloges qu’on réserve à l’album, c’est parce qu’il procède d’un collage où les styles de chacun s’y affirment. Musique et parole, tout y est : le pont enjoué de Paul -"Woke up, fell out of bed"- n’est qu’un contrepoint à l’introspection lennonienne qui s’achève en cathédrale sonore. Le regretté Jean-Dominique Bauby, décrivant sa dernière journée de valide dans Le scaphandre et le papillon, revint sur ce morceau, en décrivit l’acmé et parla de piano qui aurait chu d’une maison à plusieurs étages. C’est la dernière impression qu’il emporta du monde habituel, basculant déjà dans la perpétuité du looked-in syndrom. Mais on se souviendra qu’en amateur de pistes cachées, le groupe réservait une surprise plus légère, à la manière du Her majesty d’Abbey Road : des voix entremêlées vociférant en boucle pour mimer le saphir grattant sans fin le sillon du disque. Cette grimace sonore désamorçait l’emphatique impression d’ensemble, pour signifier que non contents d’être des orfèvres, les Beatles demeuraient en vérité de gentils garnements.
Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band , The Beatles (Parlophone/EMI), 1967.
1. Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band 2:02
2. With a Little Help from My Friends 2:43
3. Lucy in the Sky with Diamonds 3:27
4. Getting Better 2:47
5. Fixing a Hole 2:36
6. She’s Leaving Home 3:34
7. Being for the Benefit of Mr. Kite ! 2:37
Face 2
No Titre Durée
8. Within You Without You (George Harrison) 5:05
9. When I’m Sixty-Four 2:37
10. Lovely Rita 2:41
11. Good Morning Good Morning 2:40
12. Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band (Reprise) 1:18
13. A Day in the Life
Galerie photos
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