America Great Again ?
Le 7 novembre 2018
Les rêves brisés de l’Amérique se cristallisent dans ce thriller qui pourrait bien être l’un des pires brûlots que Donald Trump ait jamais subi depuis son investiture.
- Réalisateur : Drew Goddard
- Acteurs : Jeff Bridges, Chris Hemsworth, Jon Hamm, Dakota Johnson, Lewis Pullman, Cynthia Erivo
- Genre : Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Thriller
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Twentieth Century Fox France
- Durée : 2h22mn
- VOD : Disney+
- Date télé : 28 septembre 2022 21:05
- Chaîne : CStar
- Reprise: 18 novembre 2021
- Titre original : Bad Times at the El Royale
- Âge : Interdit aux moins de 12 ans
- Date de sortie : 7 novembre 2018
Résumé : Sept étrangers, chacun avec un secret à planquer, se retrouvent au El Royale sur les rives du lac Tahoe ; un hôtel miteux au lourd passé. Au cours d’une nuit fatidique, ils auront tous une dernière chance de se racheter… avant de prendre un aller simple pour l’enfer.
Critique : Depuis l’élection présidentielle qui a vu le déjà très célèbre milliardaire Donald Trump accéder au pouvoir exécutif de la première puissance mondiale, une contre-culture, dans une Amérique scindée en deux et irréconciliable, se sert de tous les médias possibles afin de contester et de montrer au reste du monde que l’Amérique n’a pas encore totalement perdu la tête. Dans ce grand concours qui consiste à avoir un mot plus original que le voisin pour qualifier l’ignominie que représente le 45e président des États-Unis, un nom sort aujourd’hui du lot : celui du réalisateur et scénariste Drew Goddard.
En 2h22 de film, le cinéaste a réussi à tout dire, tout critiquer et tout dénoncer, sous couvert d’un thriller qui ne serait qu’au premier abord qu’un simple huis-clos mais remplit d’indices à déchiffrer. Son second long-métrage évoque ainsi les rêves brisés d’une Amérique obligée de panser encore et toujours les mêmes plaies, exprimant le profond désespoir qui découle d’une situation politique qui semble inextricable.
Loin de s’adonner à la simple critique en rejetant toute solution de facilité, c’est en puisant dans l’Histoire de l’Amérique que Drew Goddard cherche à démontrer que le rêve américain s’est brisé depuis les années 60, époque charnière où se déroule ce film noir à l’humour ironique à souhait, un peu comme si, face à la calamité de la situation, en rire serait bien trop indécent.
- © 2018 Twentieth Century Fox
Place donc à l’hôtel El Royale (nom mexicain), construit à cheval entre la Californie (théâtre de tous les mythes hollywoodiens) et le Nevada (que de rêves brisés dans les casinos de Las Vegas). La frontière invisible entre les deux états est indiquée sur le sol : une ligne que les clients s’amusent à traverser, amusés par la facilité avec laquelle ils passent d’un État à un autre. Autrefois the place to be, très fréquenté par les personnalités les plus éminentes (les portraits de Marilyn Monroe et Elvis, qui y ont tous deux séjourné, sont là pour en témoigner), l’hôtel est désormais vide et semble surtout infréquentable. Les rares clients qui passent la porte sont de passage et n’ont plus qu’une hâte : s’en aller au plus vite. Pourquoi d’ailleurs ces individus y zonent-ils ? Ont-ils quelque chose à se reprocher ? S’y sentent-ils oubliés et à l’écart dans ce no man’s land géographique ?
Le scénario propose de suivre chaque personnage dans ce film à chapitres qui n’est pas sans rappeler la longue tradition des thrillers de motels, auberges et autres lieux de passage, qui inspire régulièrement aux auteurs les histoires les plus sordides. D’aucun se souvient de Shining, d’après Stephen King, où la tranquillité apparente des lieux laissait vite place à l’épouvante et la démence. Entre l’Overlook Hostel du film de Kubrick et l’El Royale, difficile d’imaginer que les clients peuvent vraiment dormir sur leurs deux oreilles tant ils sont loin de détenir toutes les clés. Tout comme le citoyen américain, prisonnier de la situation politique de son propre pays ?
- © 2018 Twentieth Century Fox
A l’image d’un casting hétéroclite, qui n’est pas constitué que d’Américains qui exprimeraient tout haut ce que beaucoup à Hollywood préfèrent dire tout bas, les personnages dépeints viennent d’horizons différents. Ils ont tous la lourde tâche de personnifier un travers du gouvernement de Trump, sans faire dans la dentelle, tout en prenant à contre-pied les vieilles habitudes hollywoodiennes. Sale temps à l’Hôtel El-Royale permet donc à une actrice afro-américaine d’incarner un premier rôle féminin solide et - ô miracle - intelligent et spirituel. Cynthia Erivo interprète une starlette tombée en disgrâce après avoir repoussé les avances d’un producteur véreux, joué par un Xavier Dolan glaçant. Le phénomène #MeToo n’est pas loin, le passé glorieux d’Hollywood également, ainsi que des années de pratiques douteuses qui ont vu des artistes de grand talent être relégués dans l’ombre par des producteurs ayant tout pouvoir sur leur possible carrière.
Que dire également de l’espion incarné par un Jon Hamm d’une rare arrogance au sourire bright white, qui va envenimer une situation dont il ne comprend rien en jouant au gendarme (du monde) ? C’est là que les références historiques prennent tout leur sens, entre le Watergate, les bavures commises par la CIA, pour ne citer qu’elle, ou encore la guerre du Viêt Nam pour laquelle tant de jeunes hommes ont été envoyés au front, le permis de tuer en poche, sans l’avoir demandé. La peur d’une guerre prochaine entre les États-Unis et la Corée du Nord est palpable, à tel point que le film pointe également du doigt les médias, les personnalités politiques ou encore les religions qu’il serait très dangereux d’écouter sans contre-argumentaire. Si Jeff Bridges prête ses traits à un pasteur qui est loin de mériter la confiance que l’habit lui octroie d’office, tout indique que la méfiance face aux religions est de mise lorsque croyance rime avec politique.
- © 2018 Twentieth Century Fox
Tout cela pour en venir au personnage de Chris Hemsworth, qui incarne ici un gourou violent, d’apparence nonchalante, qui se balade en toute circonstance torse nu, ce qui est certes agréable pour les yeux mais totalement gratuit (toute ressemblance avec des pratiques subies par les actrices depuis des décennies n’est pas fortuite). Inquiétant, bavard, il ferait croire n’importe quoi à n’importe qui, tout spécialement à des êtres fragiles en quête de changement... Si Donald Trump devrait être honoré d’être (ré)incarné par cet acteur beau comme un dieu, il le sera nettement moins quand il ouvrira la bouche. Beau certes, mais insupportable de bêtise ! Chris Hemsworth hérite ici de l’un des rôles les plus audacieux de sa carrière, et probablement de l’un des meilleurs.
- © 2018 Twentieth Century Fox
Également film musical qui inscrit son propos dans une époque où le blues et le jazz exprimaient tous les rêves d’une Amérique sûre d’elle-même et de son avenir, Sale temps à l’hôtel El Royale entretient l’espoir de lendemains qui chantent. Malgré quelques longueurs et la lourdeur d’une mise en scène qui tient absolument à s’articuler autour de plans-séquences qui ne nourrissent pas le scénario et ne le rendent pas plus intéressant, ce thriller d’une grande intelligence met à plat des mois de critiques contre le gouvernement américain, Hollywood et un peuple dont les motivations semblent de plus en plus obscures.
Le soleil finit toujours par chasser le sale temps. Il suffit juste d’y croire.
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.
ceciloule 28 novembre 2018
Sale temps à l’Hôtel El Royale - la critique du film
Je n’avais pas perçu la dimension politique du film (si toute fois il y en a une), mais j’ai beaucoup aimé cette plongée dans une Amérique de la fin des sixties, dans cette atmosphère glauque et intrigante où tout semble louche et où tout est ambigüe. Les personnages sont fouillés et ont du relief, les décors sont bluffants et la bande-son est géniale.
Une bonne réalisation qui ne cherche pas la complexité dans les dialogues, ni dans les plans, mais qui sait nous cueillir par son efficacité et sa construction originale rappelant, effectivement, les films d’Hitchcock (pour en savoir plus : https://pamolico.wordpress.com/2018/11/28/paillettes-et-paranoia-sale-temps-a-lhotel-el-royale-drew-goddard/)