L’ombre des femmes
Le 20 mai 2021
Jacques Doillon libère toutes ses obsessions et hantises dans un drame sentimental faussement dépouillé. En filigrane, une superbe expérimentation sur la matière, la transcendance et l’amour impossible.
- Réalisateur : Jacques Doillon
- Acteurs : Vincent Lindon, Bernard Verley, Anders Danielsen Lie, Izïa Higelin, Laurent Poitrenaux, Séverine Caneele, Magdalena Malina
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Durée : 1h59mn
- Date télé : 20 mai 2021 23:00
- Chaîne : Canal +
- Date de sortie : 24 mai 2017
- Festival : Festival de Cannes 2017
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Résumé : À Paris, en 1880, Auguste Rodin reçoit enfin à 40 ans sa première commande de l’État : ce sera {La Porte de L’Enfer} composée de figurines dont certaines feront sa gloire comme Le Baiser et Le Penseur. Il partage sa vie avec Rose, sa compagne de toujours, lorsqu’il rencontre la jeune Camille Claudel, son élève la plus douée qui devient vite son assistante, puis sa maîtresse. Dix ans de passion, mais également dix ans d’admiration commune et de complicité. Après leur rupture, Rodin poursuit son travail avec acharnement. Il fait face au refus et à l’enthousiasme que la sensualité de sa sculpture provoque et signe avec son Balzac, rejeté de son vivant, le point de départ incontesté de la sculpture moderne.
Critique : Non, Rodin ne relève certainement pas du simple biopic. Ce 29e long-métrage de Jacques Doillon, s’il explore la période la plus inventive et paradoxalement la moins appréciée de la carrière du sculpteur de son vivant, se rattache avant tout au drame sentimental. Un genre dont le réalisateur s’est fait le porte-étendard et le spécialiste depuis La femme qui pleure, La pirate ou encore La tentation d’Isabelle. Comme dans ces derniers, c’est la jalousie et la manipulation des sentiments qui prédominent dans Rodin entre le statuaire et sa muse Camille Claudel. À quarante ans, l’artiste s’attaque à l’une de ses créations les plus ambitieuses : la porte de l’Enfer. La démesure du modeleur, qui souhaite avec cette œuvre donner une illustration tangible des Cercles de l’Enfer issus de "La Divine Comédie" de Dante Alighieri, est une manière détournée pour lui d’exprimer ses pulsions et ses sentiments refoulés. Haletant comme un boxeur sur le ring, tantôt brusque, tantôt passionné, Rodin - interprété à la perfection par Lindon, exceptionnel - s’affaire à ses sculptures comme si sa vie en dépendait. Camille pense l’aimer d’un amour fou, lui connaît depuis longtemps son penchant d’ogre à femmes et ne semble pas s’embarrasser d’une telle question. Du reste, l’amour pour les deux artistes n’est jamais plus vrai et palpable qu’allégorisé par une pierre aux formes humaines.
- Copyright Shanna Besson / Les Films du Lendemain
Là peut-être réside tout l’enjeu de Rodin : depuis les tréfonds de l’âme, chacun mène une lutte acharnée contre la matière - un combat physique visant à faire plier le réel pour lui substituer des formes s’alliant à leurs désirs. Ce n’est pas un hasard si Jacques Doillon met en scène la quasi totalité de son film à l’intérieur de l’atelier du sculpteur en laissant hors champ tous les à-côtés. Puisque seuls comptent ici l’exaltation et la flamme, Rodin n’apparaît pratiquement qu’autour de ses œuvres - hantées par la fièvre. Pour lui, la seule vérité que réserve le monde est contenu au fond de son cœur. Mais reste à ses mains d’en faire surgir l’empreinte sur la glaise, le plâtre et le marbre. Ce n’est qu’une fois cet acte libérateur accompli que les émotions et sentiments daignent transparaître chez lui, chez elle. Piégés par cet impératif pulsionnel, Rodin et Camille n’ont d’autre choix malgré leur affection réciproque que de s’entre-déchirer. Même si Doillon, à ce titre, ne remet pas en question la culpabilité du sculpteur, trop autiste et volage, dans la déroute tumultueuse du couple. Le drame veut que Rodin ne soit finalement jamais plus épris de Camille qu’en son absence, en la représentant dans ses statues. Quête du beau universelle et insatiable qui ne connaît de dénouement qu’avec la sortie à l’air libre de la statue mal-aimée de Balzac - fracture cathartique. Toute la colère du monde, dès lors, ne saurait anéantir l’amour qu’il a placé en l’œuvre, comme les chiens pissant sur Notre-Dame ne sauraient en dénaturer la majesté.
- Copyright Shanna Besson / Les Films du Lendemain
Le deuxième film contenu dans Rodin, c’est également le récit d’un homme incapable de vivre sa vie autrement qu’en l’imaginant dans ses sculptures. Le plan saisissant la rencontre de l’artiste avec Paul Cézanne, avec à l’horizon une incommunicabilité pathologique, explique à demi-mot le mutisme de ces génies capables de percevoir et d’exprimer le réel, mais pas de le manifester avec autrui. Alors que les couleurs grisâtres et atonales, pendant une bonne partie de film, renvoient à cette nécessité compulsive de préférer un monde des idées plutôt que l’horizon visible par sa fenêtre, les nuances se multipliant lorsque les corps nus suscitent de futures statues. Même le sexe, en soit, fait figure d’étape dans ce processus de création - l’empressement de Rodin en la matière n’est qu’une exploration de plus des corps. Il aura fallu la mort pour qu’un dernier plan libère enfin toutes les tonalités au moment de cadrer la statue de Balzac - en qui Rodin trouve l’alter ego imaginaire, fantasmé - face à l’éternité. L’abnégation et l’obsession de Rodin n’auront pas été vaines. Par-delà son faux classicisme, Rodin n’est décidément pas un petit film.
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