Le 17 juin 2018
Une autobiographie pas totalement assumée, sur laquelle planent les ombres de Bourdieu et Foucault.
- Auteur : Didier Eribon
- Editeur : Fayard
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Française
- Date de sortie : 30 septembre 2009
- Plus d'informations : Le site officiel
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Résumé : Après la mort de son père, Didier Eribon retourne à Reims, sa ville natale, et retrouve son milieu d’origine, avec lequel il avait plus ou moins rompu trente ans auparavant. Il décide alors de se plonger dans son passé et de retracer l’histoire de sa famille. Évoquant le monde ouvrier de son enfance, restituant son ascension sociale, il mêle à chaque étape de ce récit intime et bouleversant les éléments d’une réflexion sur les classes, le système scolaire, la fabrication des identités, la sexualité, la politique, le vote, la démocratie... Réinscrivant ainsi les trajectoires individuelles dans les déterminismes collectifs, Didier Eribon s’interroge sur la multiplicité des formes de la domination et donc de la résistance.
Notre avis : Retour à Reims est le récit d’un homme qui vit l’éternelle confusion du transfuge de classe. On sait que ce livre inspira Edouard Louis pour son oeuvre En finir avec Eddy Bellegueule et que le jeune écrivain la dédia d’ailleurs à Didier Eribon.
Après la mort de son père, dont il était sans nouvelles depuis des années, le sociologue revient sur les lieux de son enfance, renoue avec sa mère, mesure également le gouffre entre l’éthos du milieu social qui l’a vu naître et le milieu intellectuel parisien qu’il a rejoint, parce qu’il lui semblait conforme à ses aspirations, parce qu’il exerçait aussi un pouvoir d’attraction dont le récit rend compte avec une certaine sincérité, même s’il dénonce également le tournant néo-conservateur des années 80 et ses effets sur un certain nombre de penseurs de gauche.
En fait, il est intéressant de mettre en relation le texte d’Eribon avec l’oeuvre d’Annie Ernaux, qui fit du déchirement propre au transfuge la matière de ses récits, la radicalisa même par une écriture âpre, parfois blanche, pour dire la douleur de ne pas avoir surmonté cette tension. Evidemment, Retour à Reims n’a pas les qualités littéraires de La place ou de La femme gelée, on peut même dire qu’il pâtit de certaines lourdeurs d’écriture qui en font quelquefois un livre très scolaire. L’impression est renforcée par une tendance au jargon sociologique, comme une récitation du petit Bourdieu illustré. C’est d’autant plus dommageable que sur l’analyse des effets de domination, sur les déterminismes qui accablent les classes les plus pauvres, l’horizon d’Eribon se borne à ce qu’avait déjà écrit Bourdieu dans Les héritiers ou La reproduction, avec plus de rigueur et dans un style plus maîtrisé. Concernant l’école, l’auteur s’avère moins radical que son glorieux aîné : constatant que l’égalité des chances n’est qu’un leurre, il en apporte certes la démonstration par son propre itinéraire qui le condamne à des voies de traverse, mais ne commente pas ce qui apparaît comme un désir de légitimation officielle, alors qu’on ne dira jamais assez que la critique bourdieusienne, dans son implacable constat, considère tout acte pédagogique comme une violence symbolique, frappant d’inanité toutes les formes de son institutionnalisation.
Cette adhésion à la méritocratie, à travers ses formes plus bourgeoises, constitue chez Eribon une véritable aporie qui n’est pas assumée : elle aurait pourtant fait bifurquer le propos vers des motifs psychologiques que l’auteur exclut d’emblée, ne voyant le monde qu’à travers le prisme de la sociologie, ce qui affaiblit son discours et le cantonne à une approche exclusivement holiste. Pourtant, son texte le montre bien : les réflexes d’individuation se cristallisent à travers des stratégies d’adaptation, qui opèrent davantage, semblent plus évidents lorsque le narrateur évoque son homosexualité et le rejet dont elle a fait l’objet en province (ce qui l’a conduit, entre autres raisons, à quitter Reims). Le texte atteint alors une forme d’équilibre tout à fait intéressant, parce que ténu, où le désir du jeune homosexuel de jouir sans entraves se conjugue à la peur d’être surpris. A ce moment-là, la dimension de l’expérience prouve qu’à hauteur d’individu, l’assujettissement n’est pas un destin.
Une autre figure tutélaire plane sur ce texte : celle de Michel Foucault, avec qui Eribon se lia d’amitié et auquel il consacra une biographie de référence, pas toujours foucaldienne, d’ailleurs. Là encore, ce que l’auteur en dit dans Retour à Reims se réduit à un réflexe sainte-beuvien, plutôt étrange pour parler d’un structuraliste : si l’anormalité a tant mobilisé le célèbre philosophe, c’est parce que lui-même la vivait dans sa chair, à l’époque de la dictature hétéronormée. Certes. Mais le propos paraît sommaire au regard de la richesse d’une oeuvre considérable.
Bref, s’impose l’idée qu’Eribon a définitivement choisi son camp, mais n’a pas totalement résolu les contradictions qui l’ont finalement conduit à désirer le statut d’intellectuel.
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