Le 26 août 2020
Dans un roman au goût mélancolique et vintage, Richard Russo creuse la psychologie de ses personnages et dresse le portrait d’une Amérique blanche autrefois pleine d’espoir, aujourd’hui désabusée.
- Auteur : Richard Russo
- Collection : Quai Voltaire
- Editeur : Editions de la Table Ronde
- Genre : Roman & fiction, Roman
- Nationalité : Américaine
- Traducteur : Jean Esch
- Titre original : Chances Are...
- Date de sortie : 27 août 2020
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur
Résumé : En 1969, quatre amis, Lincoln, Teddy, Mickey et la fille de la bande, Jacy, se rendent dans la maison de bord de mer du premier pour se dire adieu. Chacun prendra dès lors un chemin différent après son deuxième cycle universitaire et tous veulent marquer ce jour d’une pierre blanche. C’est aussi lors de ce séjour que Jacy disparaît mystérieusement... Plus de cinquante ans plus tard, les trois hommes aujourd’hui soixantenaires désabusés se retrouvent dans cette même maison, la tête emplie de souvenirs.
Critique : Retour à Martha’s Vineyard ou les retrouvailles de trois amis qui sont parvenus à maintenir des liens ténus entre eux pendant plus de quarante ans – Lincoln, Teddy et Mickey. Acolytes et colocataires durant leurs années à l’université, ils ont depuis tracé leur route, l’un à Los Angeles, l’autre à Syracuse et le dernier à Cape Cod, restant tout près de là où il se sentait à sa place, de là où tout s’était déroulé, quitte à laisser un fantôme le visiter régulièrement. En effet, la fille de la bande, Jacy, a disparu le week-end suivant la remise des diplômes, en 1971, alors que tous les quatre avaient décidé de passer quelques jours dans la maison de famille de Lincoln, à Martha’s Vineyard, pour se dire adieu, avant de laisser leurs chemins se séparer lentement – l’un vers l’ouest, l’autre vers des études religieuses, le dernier vers la guerre et Jacy dans les bras de son fiancé, de retour dans son milieu huppé.
Retourner sur cette île n’est pas sans conséquence pour les trois amis, désormais soixantenaires désillusionnés et meurtris par la vie et par les souvenirs. Jamais la silhouette de Jacy n’a réellement déserté leurs pensées, jamais leur blessure ne s’est refermée. Richard Russo laisse la parole à Teddy, puis à Lincoln, raconte doutes et contrariétés, via leur perspective respective. Il revient sur leur jeunesse, sur leur histoire familiale, croise passé et présent pour permettre au lecteur de les comprendre, eux et cette méfiance pesante qui gagne peu à peu le groupe. Bordé par la mer qui scintille sous le soleil de cette fin d’été, le roman tend vers le huis clos, propice aux confidences et aux réminiscences, l’absence de Jacy étant plus vive ici que nulle part ailleurs. Grâce à ces croisements de focales, le tableau se dessine peu à peu, les points peuvent être reliés lentement, sans que le livre n’embrasse totalement le polar qu’il effleure. Il s’agit davantage de l’histoire de trois vies, représentatives à elles seules de la diversité de l’Amérique blanche, de trois hommes blessés et abîmés par les années, heureux de se retrouver, malgré la distance qui s’est installée entre eux. Se sont-ils jamais connus ? Est-il possible de réellement connaître quelqu’un ou les tréfonds de son âme restent-ils inaccessibles ? S’attaquant aux travers humains, ciselant la psychologie de ses personnages, Richard Russo parvient à signer un roman à la fois typiquement américain tout en étant différent, foisonnant sans jamais l’être trop, addictif et riche de dialogues. L’équilibre est ainsi atteint et le lecteur plonge dans cette mer de mystère, chaude et dorée par le coucher de soleil, avec délectation.
Richard Russo - Retour à Martha’s Vineyard
Éditions de la Table Ronde
384 pages - 24 euros
135 x 220 mm
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L’atelier de Litote 27 août 2020
Retour à Martha’s Vineyard - Richard Russo - critique du livre
Voilà quarante ans que Teddy, Lincoln et Mickey se connaissent, ils étaient dans la même université au moment de la guerre du Vietnam. Aujourd’hui ils ont la soixantaine et se retrouvent une dernière fois à passer un week-end à Martha’s Vineyard dans la maison que Lincoln s’apprête à vendre. Les chapitres alternent en fonctions des personnages, nous apprenons ce qu’il y a à savoir sur chacun d’entre eux, les petits secrets qu’ils n’ont dévoilés à personne, nous en sommes les témoins. C’est pourtant une autre version de l’histoire commune qui va nous être livrée. Car tous étaient amoureux de Jacy, une jeune fille venant d’une famille aisée, Jacy centralisait tout leur désir. On les revoit la nuit du tirage au sort de l’ordre d’appel pour le Vietnam. Plus tard à la fin de leurs études, ils décident de se réunir une dernière fois à Martha’s Vinyard la maison de vacances de Lincoln et Jacy part avec eux. A la fin du week-end plus personne ne la reverra, les trois hommes tentent de trouver des réponses à leurs questions. Les souvenirs affluent, mais ils ne sont les jeunes gens innocents qu’ils étaient à l’époque. Ils ont bien changés, ils ont eu des destinées différentes. Lincoln a réussi en tant que coursier, Teddy travail dans l’édition et Mickey est toujours musicien. L’écriture de l’auteur parvient à nous faire revivre cette époque particulière qui a précédé la guerre du Vietnam. Ses personnages semblent tout ce qu’il y a de plus ordinaires et pourtant leurs confessions sont touchantes. L’amitié, le temps qui passe, le vieillissement de l’être sont souvent présentés avec une ironie qui si elle ne vous fait pas sourire, vient refléter les questions que tout le monde finit par se poser. J’aurai souhaité que le personnage de Jacy soit aussi traité plus en profondeur, ce qui n’est pas le cas. On n’apprend que peu de chose sur elle, elle ne portait pas de soutien-gorge et aimait se sentir libre mais encore pour générer autant d’attention qu’avait-elle de plus ? Bonne lecture.
http://latelierdelitote.canalblog.com/archives/2020/08/27/38478275.html
Kirzy 13 février 2021
Retour à Martha’s Vineyard - Richard Russo - critique du livre
La scène d’ouverture est superbe. 3 amis, étudiants boursiers dans une université huppée du Connecticut regardent la télévision depuis la cuisine de la sororité dans laquelle ils travaillent. Nous sommes le 1er décembre 1969 et c’est la draft lotery, le tirage au sort par dates de naissance pour l’enrôlement dans l’armée américaine avec la guerre du Vietnam comme horizon. Mickey se retrouve avec le numéro 9. Aucune chance d’y échapper alors que Teddy et Lincoln devraient pouvoir éviter la boucherie.
A partir de là, Richard Russo nous immerge dans les destins croisés de ces trois amis dont la vie, façonnée par le hasard, la chance mais aussi les décisions de chacun – judicieuses ou pas – est présentée rétrospectivement. Ils ont désormais 66 ans, c’est la fin de la présidence Obama, et ils se retrouvent une dernière fois dans la maison de Martha’s Vineyard avant que Lincoln ne la mette en vente.
Et l’auteur prend son temps. Comme narrateur omniscient, il présente longuement ces trois personnages, alternant les points de vue, passé / présent, pour révéler, couche après couche, tous les secrets d’une vie, les regrets, les souvenirs obsédants. A chaque fois que je lis Russo, je suis frappée par son oeil infaillible pour parler des hommes, et toujours avec un humour doux et intelligent : rarement un auteur parle aussi bien d’eux, de ce qu’ils pensent, de leurs failles autour de thématiques comme l’amitié masculine, la relation père-fils, les idéaux envolés et le déterminisme social. Les trois univers masculins sont observés avec une délicatesse classieuse et une empathie humaniste remarquable qui rend compte de toutes les textures d’une vie. A ce propos, Teddy est sans doute le personnage le plus intéressant car le plus complexe.
A cette intrigue très intimiste, Richard Russo adjoint un mystère : celui de la disparition de Jacy lors d’un week-end à Martha’s Vineyard, en 1971 pour fêter les diplômes obtenues et convaincre Mickey de fuir au Canada pour éviter le Vietnam. Jacy, c’est une femme « magique », celle dont les trois amis sont éperdument amoureux et espèrent qu’elle les choisira. Elle disparaît sans jamais reparaître et plus de quarante ans après, ils ne l’ont jamais oublié. S’est-elle suicidée ? A-t-elle été assassinée ? Un accident ? Au départ, ce mystère tourne autour du récit, sur ses marges, puis il s’infiltre au coeur du roman comme un révélateur des trajectoires de vie qui se croisent. Son dénouement n’est pas le plus réussi dans le roman, je ne l’ai pas trouvé crédible du tout pour tenir ainsi sur plus de quarante ans.
Mais peu importe. Ce n’est pas cela qui intéresse l’auteur, ni le suspense que cet arc narratif aurait pu introduire. Ce qu’on retient, c’est le questionnement constant de personnages fouillant dans leur mémoire afin de savoir qui ils sont et comment ils sont devenus ce qu’ils sont en 2015. A l’issu du roman, ces multiples questions restent non résolues. Mais une porte s’est ouverte. Celle de l’acceptation qui surmonte les regrets et la résignation. Celle d’une rédemption qui libère, pourtant pleine de désenchantement et de nostalgie. Celle d’une possible réinvention, même tardive, teintée de mélancolie douce amère.