Notre avis : Sorti pour la première fois en 1928, le premier roman de Maurice Carême, Le Martyre d’un supporter bénéficie d’une nouvelle réédition. Si cet ouvrage nous paraît éloigné dans le temps, les considérations que l’auteur met en valeur sont pourtant plus que modernes, extrêmement pérennes, tant le football revêt une place importante dans la vie de bon nombre d’individus, à travers le monde.
En effet, Prosper Goffineau pourrait être vous ou moi, un individu lambda, père de famille, mari aimant, qui voit sa vie défiler sans grande passion, jusqu’au jour où il découvre le football. Son premier match, qu’on pourrait qualifier d’épiphanie, va en effet changer l’existence du personnage de façon irrémédiable. Ce sport deviendra sa nouvelle religion et les autres supporters, sa nouvelle famille. Femme partie, fille absente : Prosper va tout sacrifier pour le ballon rond et pour supporter son club.
Si le ton du roman est souvent caustique et l’auteur souvent ironique à l’encontre de son personne principal, tout bon supporter se retrouvera d’une façon ou d’une autre dans le portrait qu’il dresse de son héros. Que ce soit dans la victoire, dans la défaite, face aux supporters adverses, qu’il pleuve ou qu’il vente, ce supporter se doit de soutenir son équipe, même s’il doit risquer sa vie et devenir, comme Prosper, un martyr. On pourrait d’ailleurs gloser sur l’emploi du mot "martyre" qui, bien évidemment, fait référence à la religion, ainsi qu’à ces hommes et ces femmes morts pour leur foi. L’emploi d’un tel mot n’est donc pas anodin, puisqu’il place directement le supporter dans une position de souffrance, de sacrifice et annihile presque toute notion de plaisir.
Pour revenir au roman en lui-même, il amusera les fans de football, mais laissera très certainement les autres sur le banc de touche. A cela, s’ajoute la pensée réactionnaire de l’auteur, qui utilise des comparaisons parfois racistes et propose un portrait des femmes assez misogyne. En effet, qu’il s’agisse de son épouse ou de sa fille, celles-ci sont décrites comme instables, inconstantes, autoritaires, voire un peu sournoise. Néanmoins, ces différents éléments sont à replacer dans un contexte où racisme et misogynie n’étaient pas des sujets aussi importants et combattus qu’aujourd’hui. On pourrait presque aussi y voir une forme d’outrance, même de caricature, qui iraient de pair avec celle des supporters.
On pourrait aussi reprocher la manière dont la récit "survole" les matchs, qui sont très peu décrits, tout comme la cohésion qui peut exister entre les différents supporters. Ce roman qui, malheureusement ne va pas au bout de son sujet, s’oublie finalement assez vite.