Rencontrer mon père - la critique du film

Notre avis : D’emblée, le film oppose deux opinions sur le père recherché : une vision fataliste, celle d’une vieille femme -la mère- qui ne relie l’absence qu’à une volonté divine ("C’est Dieu qui l’a mis là-bas" répète-t-elle inlassablement) et celle du réalisateur qui ne dissocie pas cette invisibilité d’une responsabilité personnelle. Ce père est demeuré inaccessible ? Il a donc choisi de l’être. Même si on ne saurait ignorer que la sécheresse des années 70 et 80 dans la région du Fouta, au nord du Sénégal, a engendré le départ d’un certain nombre d’habitants. Les images s’en font l’écho, s’attardent sur des zones arides, balayées par un vent violent, dont la potentialité cinématographique est captée en une séquence : un drap se soulève sous l’effet d’une bourrasque, vient voiler le visage maternel. Chevillé à sa quête identitaire, Rencontrer le père n’en oublie pas pour autant qu’il est un film.

Copyright JHR Films, 2019

Finalement le cinéaste part, nanti de ses certitudes, effectue un double voyage -physique et psychologique- qui ellipse la recherche du père, comme si le but lui-même dispensait de filmer les moyens : l’absent est là, immédiatement présent, dans son quotidien d’éleveur, quelque part au Gabon, où le fils s’installe au milieu d’une nouvelle famille, en terrain conquis, reprenant la part qui lui a été dérobée pendant de nombreuses années, récupérant par l’échange le dû que lui doit son géniteur.

Copyright JHR Films, 2019

Les entretiens constituent la matière principale de l’oeuvre : la caméra scrute impitoyablement le visage du père, tantôt en colère, tantôt mutique, formidablement émouvant lorsque ses silences le révèlent dans des gestes dérisoires, jouant nerveusement avec deux téléphones cellulaires. Avec patience, le fils le soumet au feu de ses questions qui le poussent dans ses derniers retranchements, pointe ses contradictions sans forcément lui enjoindre de s’amender. Son interlocuteur, qui prétend pratiquer l’Islam avec la vertu d’un bon croyant, respecte-t-il vraiment les préceptes du Coran ? Pourquoi ses frères de croyance n’ont-ils pas intercédé pour qu’il revienne au village natal ? Le manque d’argent n’est-il pas finalement l’alibi d’un manque de volonté ? Les situations sont suffisamment dérangeantes et la calme persévérance du réalisateur troublante pour que les autres membres de la famille s’abstiennent d’abord de parler. Mais on apprendra bientôt que ses proches ne l’aiment pas, au point d’envier la vie de cet enfant abandonné.
Si la fin du documentaire rend justice à la démarche du réalisateur, elle ne scelle pas pour autant la réconciliation du père et du fils, filmés à distance, au moment de se quitter, par une caméra qui semble, elle aussi, avoir été oubliée.