Le 30 août 2010
- Réalisateur : Thomas Vinterberg
- Nationalité : Danois
A l’occasion de la sortie de Submarino, rencontre avec le chef de file du Dogme, sensible et passionné par l’évolution de ses personnages.
A l’occasion de la sortie de Submarino, rencontre avec le chef de file du Dogme, sensible et passionné par l’évolution de ses personnages.
aVoir-aLire : Vos personnages sont des antihéros, des personnalités pas toujours sympathiques mais il est pourtant difficile de les détester. La compassion est-elle un moyen de rendre Submarino moins difficile, de porter un regard moins accusateur sur la société ?
Thomas Vinterberg : L’empathie pour les personnages, leur vulnérabilité, c’est toujours très important pour moi : c’est pour cela que je fais des films. Je cherche toujours à montrer la fragilité que chacun cache. Je recherche toujours dans mes personnages le moment où ils vont révéler leurs failles, où ils vont se montrer nus, tels qu’ils sont vraiment. Dans Submarino, les personnages sont très en colère, absolument pas sympathiques et agressifs. Comprendre qui ils sont est ce qu’il y a de plus intéressant. La question récurrente est : « pourquoi sont-ils si vulnérables ? ». Plusieurs raisons sont exposées pour expliciter leur comportement : il y a leur enfance qui trouve un écho tout au long du film. En ce qui concerne la société, je n’ai pas de morale, pas d’idées prédéfinies. Je m’intéresse à ceux qui n’ont pas de chance, à ce qu’est la vie, particulièrement au Danemark. J’ai souhaité mettre en scène trois personnes qui s’aiment malgré les difficultés. Mais je ne ne pas suis pas un prêtre, je ne donne pas de leçons de morale. Je suis un observateur.
La vie n’a pas épargné les personnages de Submarino. Le climat est froid et humide en permanence ; le soleil ne semble jamais pouvoir percer. Quel a été votre travail sur l’image, la photographie ? La photographie semble être à l’image de l’existence et des sentiments des deux frères et de l’entourage...
Le propos du film est grave et très pur. Autant que possible, j’ai essayé d’être honnête, de montrer ce qui est et effectivement, il y a beaucoup de bleu et de gris. A la fin, il y a beaucoup de lumière qui vient de derrière la fenêtre ; dans ma tête, il y a toujours eu une journée de baptême ensoleillé. Il faut savoir que nous n’avions pas d’argent du tout. Absolument rien, comme d’habitude. Nous avons dû faire simple. Dans le fond, c’était intéressant car cela nous a permis de tout voir, d’être libres au maximum. Nous racontons une histoire grave d’une grande simplicité, immédiate. Quel sens lui donner ? Comment montrer ce qu’est la vie ? C’était le but. Nous montrons ce que nous voyons. Au début du film, nous voyons des enfants, nous voyons tout. Et c’est cela la vie, sans en rajouter, simplement. Les personnages se fondent dans le décor.
Le rôle des liens familiaux dans la construction personnelle de l’individu tient une place fondamentale dans vos films, que ce soit Festen, Les Héros et même It’s all about love. Diriez-vous que vous pensez votre rapport au cinéma par rapport à cette thématique ? Que le fonctionnement ou les dysfonctionnements familiaux sont un sujet proprement cinématographique, que cela donne lieu à des scénarios et des jeux d’acteur particulièrement riches ?
J’ai réalisé Festen il y a dix ans. C’est un film sur une famille très dure ; une institution claustrophobique. Quand on a toujours choisi pour vous, que vous n’avez jamais rien décidé par vous-même, votre père est le maître de votre destin. Ceci est l’idée centrale de Festen qui provoque une dépression. Mon nouveau film est en contradiction avec cela. Il montre comment, avec la vie moderne, les familles peuvent être dispersées. Deux sœurs peuvent vivre dans la même ville sans jamais se voir. Ce n’est pas nécessairement le reflet d’un conflit ou d’un problème ; c’est juste la vie. On peut être éloigné des personnes que nous aimons le plus. On passe notre temps à se manquer. Je ne pense pas être le seul à aimer mon frère mais à ne jamais le voir. La vie de famille est ainsi maintenant. La vie sociale est divisée entre le travail, les amis et tant d’autres choses. Il n’y a pas tant de temps que cela pour la famille ; pas autant qu’on le souhaiterait. Même lorsque l’on est en famille, nos pensées sont souvent parasitées par des éléments extérieurs et l’on se met à songer à notre travail. Et lorsque nous sommes au travail, notre famille nous manque. J’essaie d’explorer tous les aspects de cet amour et de ces émotions.
Jakob Cedergren offre une interprétation particulièrement troublante de Nick, notamment par son regard frontal. Comment avez-vous pensé à lui pour ce rôle et comment avez-vous travaillé avec lui ?
Jakob était très mince, doux et très intellectuel. Il l’est toujours d’ailleurs. C’est un acteur fantastique et j’ai pensé qu’il serait intéressant pour lui de se transformer, de tourner dans le froid et l’humidité, de donner lui-même du sens à son personnage. Il devait être arrogant et en colère, tel qu’est Nick. J’étais sûr qu’il trouverait comment faire, qu’il avait cela en lui, qu’il avait un visage vulnérable et qu’il saurait interpréter la colère, toutes les émotions. C’est ce que je lui ai demandé et il a réalisé un travail fantastique. Il a fait des recherches dans des institutions, il s’est investit pour comprendre les émotions humaines. C’était fantastique et effrayant à la fois parce qu’il ne savait pas s’il pourrait me donner cela. Il y a des émotions qui dorment à l’intérieur. Nick est corpulent et Jakob ne l’est pas : il était très léger, très mince. Nous avons essayé de l’encourager, de le guider vers son personnage, mais ce n’était pas concluant. Il s’est inspiré des criminels en prison et lorsqu’il est revenu quelques jours plus tard, il avait changé et je n’y étais pour rien. Je ne peux pas m’accorder son crédit. Il avait trouvé !
Vous revenez tourner au Danemark après plusieurs films aux Etats-Unis. S’agit-il d’une volonté de votre part (sujet du film, retour au source...) ou d’une opportunité de revenir filmer dans votre pays d’origine ?
Festen a été un énorme succès et cela a été étrange ; mon univers a explosé. J’ai eu besoin d’explorer différentes manières de faire du cinéma. C’était à la fois un élan de courage et la manifestation de ma confusion. Maintenant, je reviens de moi-même. Ce que je fais maintenant, avec Submarino en particulier, est un retour sur moi-même, un retour dix ans en arrière, avant Festen. Ce film est inspiré de mon film de fin d’étude à l’école de cinéma, avant le Dogme. J’ai explosé à un moment donné, mais maintenant, je suis simplement moi-même et j’en suis heureux. C’est une autre forme d’exploration. Je sentais que le Dogme était une forme d’expérimentation et je continue cela. Avec It’s all about love et Dear Wendy, j’explorais différentes manières de travailler. Maintenant, je peux aborder sereinement le travail.
Tourner en anglais ou en danois crée-t-il une différence dans votre manière de penser vos films et de diriger vos acteurs ? Ces deux langues créent-elles une approche, un discours différent du sujet développé dans le film ?
Je ne crois pas qu’il y ait une réelle différence. Il faut faire attention, en tant que réalisateur à ne pas trop parler. Si tu parles trop, tu finis par te fourvoyer, à créer trop de symboles. Je peux gérer cela assez bien en anglais, comme lorsque je travaille au théâtre à Vienne. Nous parlons anglais et écrivons en allemand et cela ne pose aucun problème. La seule règle à suivre est de rester simple dans sa manière de communiquer.
Après avoir écrit le Dogme et donc été l’instigateur, avec Lars Von Trier d’un mouvement cinématographique, vous vous en détachez dix ans plus tard. Croyez-vous définitivement que le Dogme est mort ?
Non. Je pense que le Dogme est comme un poisson sur la plage : il existe un risque qu’il se fasse manger par un oiseau. Le Dogme était une réaction contre les conventions ; c’était arrogant, agressif et amusant. Il a connu un grand succès et les films étaient très bons. Mais le Dogme est devenu lui-même une convention, une marque de fabrique, un produit fashion. Je pense qu’il s’agit d’un phénomène tout à fait naturel et je suis ravi du chemin parcouru. Je ne pense pas que le Dogme soit complètement mort, il peut encore se réveiller, se renouveler.
Comment décririez-vous le cinéma danois à l’heure actuelle ? Comment vous sentez-vous par rapport à lui ? Et comment pensez-vous qu’il soit possible de le faire évoluer, voire de le renouveler ?
Affaibli. Le cinéma danois a été très fort durant les années quatre-vingt dix. Après avoir été fort, il est tout à fait naturel d’être affaibli. Je dirais qu’il y a quatre ou cinq ans, il a connu des heures sombres, des conflits dans sa caractérisation. Je crois que le cinéma en général est en plein essor. Je pense qu’il y a actuellement des choses intéressantes qui se font, que des cinéastes expérimentent de nouvelles formes. Par rapport à d’autres pays et cinéaste, le cinéma danois n’est pas à son top, mais je suis convaincu qu’il peut l’être à nouveau. Je l’espère.
Entretien réalisé à Paris le 27 Août 2010
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