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Le 30 avril 2003
Retour avec son réalisateur sur Baghdad On/Off, tourné dans la clandestinité en Irak.
- Réalisateur : Saad Salman
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Cinéaste irakien exilé en France depuis vingt ans, Saad Salman est retourné à l’automne 2001 dans son pays, clandestinement, pour montrer les réalités de cette terre meurtrie par la dictature de Saddam Hussein. Baghdad On/Off est le fruit de ce périple dans le Kurdistan irakien, caméra au poing, un documentaire qui parle avant tout de personnages, de destins, d’un peuple isolé par la dictature. Saad Salman a réalisé ce film seul, derrière un guide atypique qui voyait pour la première fois quelqu’un essayer de rentrer en Irak.
Saad Salman, vous êtes parti seul en Irak, pourquoi ce choix ?
Etre seul n’était pas une difficulté, mais une liberté, car là-bas, il est impossible d’emmener une équipe. Déjà seul c’était souvent très compliqué. Je changeais souvent de voiture, de gardien, je changeais de chauffeur, je dormais dans des lieux différents dans les villes... une équipe aurait tout compromis.
Pour aller au bout de votre projet vous êtes resté seul. Vous n’avez été aidé par aucune chaîne de télévision ou boîte de production...
Je n’étais pas seul, j’ai travaillé avec des amis proches, convaincus, une petite équipe très soudée. Mais je n’ai été soutenu par aucune institution, pas de télévision. Les chaînes françaises sont depuis vingt ans très complaisantes avec Saddam Hussein. Je ne pouvais pas travailler avec des gens en qui je n’ai pas confiance.
Vous êtes entré et sorti clandestinement dans votre pays...
Ce n’était pas la première fois. La clandestinité et l’Irak sont très liés. La première fois que j’ai quitté mon pays c’était clandestinement, la deuxième fois j’y suis entré clandestinement et j’ai passé un an et un mois en prison en 1972. Puis je suis encore sorti et entré de nouveau en 2001... On est obligé d’agir de la sorte car en Irak tout est interdit.
Comment avez-vous vécu le fait d’être dans votre pays mais en même temps étranger ? Vous étiez obligé de vous cacher...
Il y a trois choses qui m’ont frappé. Je me sentais étranger dans le sens où je suis entré dans mon pays par une région dont je ne parle pas la langue ; c’est une région kurde et je suis arabe. C’est déjà quelque chose de très frappant. Deuxième chose, très paradoxale, c’est que je suis entré à un moment où tout le monde rêve de partir. Personne ne veut entrer en Irak, c’est l’enfer. Et enfin, lorsque que j’étais sur place, j’ai oublié que j’étais français, j’ai oublié que j’étais étranger, que je ne parlais pas la langue. Il y avait l’angoisse de franchir la frontière mais une fois à l’intérieur le contact est passé d’une manière incroyable, naturelle. J’ai retrouvé le comportement qui était le mien lorsque j’ai quitté le pays, quand j’avais vingt ans, comme s’il ne s’était rien passé avant, que j’étais là depuis toujours. Et surtout cet élan de générosité chez les Kurdes est quelque chose d’extraordinaire.
Vous rencontrez beaucoup de personnages au Kurdistan, est-ce une région qui abrite les souffrances de tout le peuple irakien ?
Je suis resté dans une zone, le Kurdistan, mais il n’y avait pas seulement des Kurdes. J’ai rencontré des Syriens, des Turkmènes, des Arabes réfugiés du sud, des Bagdadis revenus après avoir été déporté en Iran. Il y a donc tout ce mélange, c’est ce que j’essaie de montrer dans le film, le peuple d’Irak. J’ai tourné au Kurdistan car c’est le seul endroit où il est possible de faire quelque chose. Mais l’image que je présente du Kurdistan n’est rien par rapport à l’ensemble du pays. Le reste du territoire est disloqué, il n’y a plus de services, les villes du sud sont soumises depuis douze ans à un embargo impitoyable de Saddam Hussein. Bassorah, Nasiriah...là-bas les gens courent derrière les cartons de nourriture... Il ont été punis à cause du soulèvement de 1991.
Cela n’aurait pas été possible de réaliser le même genre de film au sud justement, pour aller au coeur de la détresse irakienne ?
Non, enfin... à l’époque, si, c’était possible mais les concessions politiques étaient trop chères. J’aurais du passer par l’Iran et la zone n’est pas aussi protégée que dans le nord. En Iran il y a les caprices des services, beaucoup de complications. Et je n’ai pas une grande confiance en les services secrets iraniens.
Et vous avez réussi à reprendre contact avec certains des gens que vous avez rencontrés depuis le conflit ?
Non. Ce n’est pas l’envie qui manque, ce sont les moyens. Ils n’ont ni téléphone, ni courrier électronique et tout cela. Jusqu’à présent même le fax était interdit en Irak. De plus, ce ne sont pas des gens des villes, ils habitent des camps de réfugiés, des villages isolés. Par contre, le jeune garçon qui a l’oreille coupé, vous savez, depuis que le film a pris une dimension internationale et a été diffusé un peu partout, il habite la ville, il est accessible, et son témoignage est très fort... J’ai eu peur pour lui avant la chute de Saddam.
Vous pouvez me parler de ce garçon ?
Oui, c’est la première fois que quelqu’un raconte cela, alors que pour les Irakien c’est banal. Les oreilles coupées c’est le lot quotidien de la population, alors que personne ne le sait à l’étranger. Les journalistes, les rédactions du monde entier savent cela ; les services secrets des grandes puissances savent cela. Mais ils le cachent.
Dans le titre de votre film, Bagdad est écrit en anglais, avez-vous anticipé sur la situation actuelle ?
J’ai écrit Bagdad de cette façon d’abord pour rester au plus près de la prononciation arabe du nom de la ville. Ensuite, c’était aussi pour montrer à quel point le destin du peuple irakien n’est plus entre ses mains. A l’époque. Aujourd’hui que Saddam Hussein est tombé, l’espoir renaît partout en Irak. C’est formidable de voir les gens s’exprimer, raconter librement. Avant, si le nom de Saddam Hussein n’était pas accompagné de titres glorieux et honorifiques, on vous coupait la langue. Lorsque la statue est tombée à Bagdad, je me souviens avoir dit à LCI : cette statue qui tombe, c’est l’horizon du pays qui est libéré. Et je crois que c’est vraiment cela, l’Irak en ce moment. L’horizon s’éclaircit enfin.
Vous avez soutenu la guerre ?
Oui, j’étais pour cette guerre, car il n’y avait aucune autre solution. Beaucoup d’intellectuels français se sont dits pacifistes et ont dénoncé la position américaine à outrance. Seulement en tant que pacifistes ils auraient dû commencer par manifester pour la fermeture des entreprises d’armement ou pour le retrait des troupes de Côte d’Ivoire. Je crois que beaucoup auraient dû balayer devant leur porte avant de se mettre en position de donneurs de leçons.
Comment réagissez-vous aux déclarations des responsables chiites qui veulent voir les Américains rentrer chez eux sous peine de représailles ?
Bien sûr que nous voulons tous voir les Américains partir. Seulement le pays a besoin d’un accompagnement. On ne peut pas laisser des bandes armées, des groupes revenus d’Iran, des exilés de retour se faire la guerre pour le pouvoir. Une transition est nécessaire, et une grande puissance peut l’assurer. Ce ne sera de toute façon pas pire que la dictature. Les Bagdadis peuvent scander des slogans anti-américains devant des chars et des Marines, ils n’en reviennent pas !
Vous allez retourner habiter en Irak ?
J’y retournerai mais je ne m’y installerai plus. Je ne connais pas ce Bagdad. J’y ai passé une enfance presque volée, dans un enfer, et maintenant je ne pourrais plus y vivre, tout a trop changé.
Propos recueillis le 25 avril 2003
Photo Saad Salman©Eve Livet
Photo Saad Salman©Eve Livet
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