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Le 7 octobre 2010
- Réalisateur : Larry Clark
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Underground, dérangeant, tour à tour passionnant, coup de poing ou douteux, pas toujours génial mais souvent intéressant, Larry Clark est un réalisateur controversé, capable du meilleur (Kids, Bully) et du moins bon (Ken Park). Avec la sortie de Wassup rockers, un film surprenant où il emprunte des voies qu’on ne lui connaissait pas, il devenait urgent de discuter avec lui de son travail. Une chance, il passait à Paris début mars. Dans un hôtel classe de l’île Saint-Louis, Larry Clark s’explique, dans sa barbe, répondant souvent à moitié à côté de la question, mais jamais sans s’écarter de son nouveau leitmotiv : "Kids are all right (for now) !"
Voilà maintenant douze ans que vous faites des films sur la jeunesse américaine. Quels changements majeurs avez-vous enregistré ?
En fait ça fait quarante-quatre ans que j’ai commencé, avec la photo... La révolution de l’information a tous bouleversé. Les jeunes sont aujourd’hui au courant de tout ce qui se passé, avec Internet. Quand j’étais un gamin, on ne savait rien sur rien, personne ne nous tenait informé. Mais au-delà de cette révolution culturelle, les jeunes restent des jeunes. Qu’importe ce qu’ils savent, leur innocence reste la même, et demeure jusqu’à ce qu’ils acquièrent l’expérience de la vie.
Vous regrettez de ne plus être un enfant ?
Non, pas vraiment. Je suis ce que je suis, et j’en suis heureux.
D’où vous vient cette fascination pour les jeunes, sujet de tous vos films, de Kids à Ken Park ?
Mon job, c’est de raconter des histoires. Même quand je porte ma casquette de photographe, je raconte une histoire. J’ai commencé par faire des photos de gosses, puis je me suis dit qu’un film ce serait vraiment super. Et puis j’aivu Drugstore cowboy de Gus Van Sant (1989), et je me suis dis : "Mince, ce type est en train de marcher sur mes plates-bandes !" Alors j’ai saisi ma chance, et je crois que j’ai fais du bon boulot. Les gens aiment mon travail ; alors pourquoi je continue à faire des films sur des gamins ? Parce que c’est devenu mon territoire, ma marque presque par défaut. Par ailleurs, faire des films m’a permis de me sortir d’une salle situation (physique, NDLR), parce qu’il faut être à fond, tout le temps.
Qu’est-ce qui fait la différence entre votre façon de filmer la jeunesse et celle de Van Sant, par exemple ?
Bonne question... (silence) mais je ne vois vraiment pas comment y répondre...
Faut-il être toujours jeune dans son for intérieur pour comprendre les jeunes ?
Il faut avant tout une volonté de fer pour faire ce genre de film. Wassup rockers m’a pris deux ans et demi. Il m’a d’abord fallu traîner avec ces gamins pendant un an. Tous les samedis, on allait skater ensemble. Je les ramassais chez eux et on passait la journée ensemble. J’ai donc appris à très bien les connaître. Ce n’est qu’après que le film a pu démarrer. Le plus drôle, c’est qu’ils avaient tous déjà vu Kids...Ensuite, tout s’est fait de manière presque organique. Je voulais montrer le combat quotidien que mènent ces gamins du ghetto pour être simplement eux-mêmes, pour imposer leur propre caractère dans un univers qui leur est hostile, dans un univers aussi pourri par des "règles" raciales et sociales pénibles.
Wassup rockers passe du documentaire à la pure fiction. Pourquoi ?
South Central (le ghetto où vivent les héros de Wassup Rockers, ndlr) n’est habité que par des Noirs et des Latinos. En deux ans et demi, je suis le seul Blanc que j’y ai croisé ! Je voulais donc sortir mes héros Latinos et les faire rencontrer des Blancs. Un jour, après le déjeuner, je me suis mis à délirer sur comment je pouvais organiser cette rencontre. Je me suis alors dit que ce serait marrant de mélanger les genres, transformer un documentaire en un film d’action hollywoodien, en course-poursuite, en aventure, en tragédie, en comédie, du burlesque, etc. A ce moment-là, je préparais les sketches pour le film, et Paris et Nicky Hilton faisaient la une des journaux car... elles ne faisaient rien, elles allaient juste de fête en fête ! Alors je me suis dis : Si Paris et Nicky se baladaient en caisse dans les rues de Beverly Hills au moment où mes héros y skataient, elles les embarqueraient, fascinées, chez elles ! C’est de cette idée que toute la seconde partie de mon film est partie. Ensuite, je me suis dit que si les petits amis des sœurs Hilton arrivaient, mes héros devraient s’enfuir, et en partant ils traverseraient les jardins du tout Beverly Hills, avec les péripéties qui vont avec ! C’était un peu bordélique, mais l’idée du film était là.
Vos films sont d’habitude plus réalistes. Vouliez-vous plus de légèreté ?
Si je n’étais pas sorti du ghetto dans ce film, ç’aurait été un film de Larry Clark, et j’en ai un peu marre de me répéter. Je voulais me marrer un peu en sortant ces gamins de leur ghetto. Ce qui me plaît, c’est que je pense que ça donne bien. La structure du film est, c’est vrai, différente et surprenante, mais c’est peut-être simplement parce que je ne suis pas un écrivain...
Ken Park avait fini classé X, vos autres films sont toujours pour les plus de 16 ans en France. Celui-ci sera accessible à tous, y avez-vous pensé ?
J’en suis très heureux, car aux Etats-Unis je suis un peu blacklisté. C’est bien que plus de monde puisse voir ce film, mais je n’ai pas fait exprès de le faire plus léger, plus accessible.
Les héros de Wassup rockers sont de bons garçons, n’est-ce pas ? Ils sont très différents de vos héros habituels...
C’est vrai, ce sont de chics types. Je crois surtout que j’ai réussi à les filmer à ce moment de la vie où on bascule dans l’âge adulte mais où on est toujours des enfants. Par exemple, ces gamins peuvent s’éclater des heures sur un tourniquet, jusqu’à en être malades, pour enchaîner avec une répétition musicale juste derrière... Ils sont aussi clean, ils ne boivent pas, ils ne fument pas, parce qu’ils voient les ravages que ça fait autour d’eux. Il se pourrait bien qu’ils deviennent accros dans le futur, parce que leur monde est rempli d’accros, de drogués et d’alcooliques, mais au moins, le temps de cet âge que j’ai saisi, ils sont clean.
Néanmoins, vous caricaturez les relations d’attirance et sexuelles en les rendant presque comparable à des scénarios de films pornos...
Franchement, c’est parce que ce sont ici les filles qui se jettent sur les mecs que ça vous surprend... si c’était l’inverse, vous trouveriez ça normal. Le prédateur qui veut niquer toutes les filles, on connaît. Mais il y a aussi l’inverse. Il y a à Beverly Hills des filles de riches, qui ont tous les privilèges et ont tout ce qu’elles veulent, comme Paris Hilton, qui ne veut que fumer et se faire des beaux gosses. J’en ai rencontré des comme ça à Beverly Hills, parlé avec elles pour connaître leur enfance, et elle m’ont affirmé qu’elles étaient comme ça jeunes. Certaines visent en particulier les Noirs et les Latinos des ghettos. C’est peut-être une sorte de rébellion pour elles.
Vous vous moquez bien d’eux quand même ! La façon dont les filles et les gars de Beverly Hills sont habillés, en particulier, est ridicule, surtout comparé au naturel des Latinos !
Et bien, le pire, c’est que c’est exactement comme ça qu’ils s’habillent ! Il y a un vrai clash culturel, même à travers la caricature, comme avec le personnage inspiré de Charlton Heston, que j’imaginais bien assis dans son jardin depuis vingt-cinq ans avec un fusil, juste pour être là au moment où un type violera sa propriété, pour le descendre...
... il ressemble à Clint Eastwood votre Charlton Heston...
C’est vrai, je cherchais un Charlton, et le meilleur des acteurs est un sosie d’Eastwood... la vérité c’est que j’adore Clint Eastwood, alors j’espère qu’il ne va pas m’en vouloir. Pour en revenir au clash culturel, regardez aussi la fashion party. Je me suis demandé comment ces gens réagiraient si une bande de jeunes à moitié tabassés, avec des bleus et des saignements, s’incrustaient à leur soirée ? Et bien ils en feraient leur prochaine campagne ! Ils se ferait un paquet de fric avec ce nouveau style, et croyez moi, c’est comme ça que le monde de la mode fonctionne, je le connais un peu...
... les riches profitant des pauvres...
Bien sûr, la pub s’est toujours intéressée aux pauvres et a analysé le style des pauvres. En ce moment les designers font des jeans "comme les pauvres" et les vendent de 400 à 1 200 dollars selon leur réputation. C’est du pur plagiat de ces pauvres gamins du ghetto. Je trouve ça ironique que de riches designers pompent les jeunes pauvres.
Puisque vos précédents films étaient interdits au moins de 16 ans, mais qu’ils parlaient des jeunes, à qui s’adressaient-ils ?
Les films sont faits pour tout le monde. J’ai fait Kids pour les jeunes, pour qu’ils puissent se dire, ça c’est la réalité. La plupart des films sur la jeunesse que j’ai vus sont de vraies blagues. Dès qu’on veut faire des films sérieux comme Kids, les parents crient au scandale, et refusent de croire que ce sont leurs enfants que je filme. Donc Kids s’adressait plus aux gamins, mais les parents sont finalement venus eux aussi, et j’espère que le film a ouvert un dialogue entre eux. Pour Wassup rockers, on a eu de gros problème d’argent, notamment, à deux jours du tournage, tous nos fonds se sont envolés. Il a fallu en trouver de nouveaux... c’est vous dire si ça a été difficile. Ce que je veux avec ce nouveau film, c’est montrer aux gens ces gamins, bons, sympathiques, qu’on ne verrait jamais sans ça.
Quels sont vos prochains projets ?
Je déborde de projets ! J’ai au moins trois ou quatre films en attente. J’essaye de les financer, pour commencer. Le premier qui trouve un financement, je le fais !
Propos recueillis à Paris, le 8 mars 2006
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