Les entretiens aVoir-aLire
Le 8 février 2006
Premier film récompensé à Venise et Sundance, 13 Tzameti divise la critique et secoue les spectateurs. Rencontre avec son réalisateur.
- Réalisateur : Gela Babluani
L'a vu
Veut le voir
Premier film récompensé à la Mostra de Venise et au Festival de Sundance, 13 Tzameti divise la critique et secoue les spectateurs. Rencontre avec son réalisateur, Gela Babluani.
Votre film, construit en deux parties, se réfère à deux genres cinématographiques : le polar et le documentaire. Pourquoi ce choix ?
Je voulais dès le début sortir du format classique du polar pour basculer d’une histoire à codes connus, auxquels on peut s’identifier, dans quelque chose de totalement différent : le jeu, la salle de jeu. Je crois beaucoup au hasard de la vie, aux petits éléments qui peuvent changer le destin : tu fais tomber une lettre et ça peut changer le destin de quelqu’un. A cela correspondait un basculement symbolique de la forme. Je crois au jeu du destin, le film est construit autour du hasard, de la chance.
Quelles références cinématographiques considérez-vous constitutives de votre travail ?
Mes influences viennent du cinéma de l’ex-URSS où il y avait une culture de l’image particulière et aucune culture du son. Les films étaient tournés et montés comme des films muets, le son venait après le montage image. On devait raconter des histoires qui touchent, donnent de l’émotion et qui soient compréhensibles sur une heure trente sans avoir de son. Une grosse partie de mon film est montée sans son pour que le maximum d’impact vienne de l’image. Il y a très peu de dialogues. Je voulais raconter mon histoire avec des images, des impressions, des regards, un jeu sur le cadre...
Dans la séquence centrale de votre film, vous vous êtes attaché à montrer une scène de différents points de vue. En quoi cette option narrative vous a-t-elle paru appropriée à votre propos ?
Il ne s’agit pas d’une divergence de points de vue. Je ne voulais pas que le même plan se répète deux fois. Le rituel en soi est assez répétitif, c’est une mécanique qui se met en place, je voulais que ce côté imposant ne devienne pas un effet de style. J’ai essayé, par la mise en scène, de montrer des points de vue différents, pas forcément le point de vue de l’arbitre ou des joueurs, mais simplement les points de vue du metteur en scène qui est un peu partout, de telle sorte qu’il n’y ait pas de parti pris mais une froide impression, assez réaliste, de la situation.
La loufoquerie que l’on perçoit par instants, comme dans la scène de fuite du personnage central, a-t-elle été sciemment recherchée ?
Je pense que c’est plus une perception individuelle. Je n’ai pas fait cette scène de la fuite pour qu’elle soit drôle, même si elle était drôle à tourner, et certains spectateurs se sont dits glacés durant cette scène... Il y avait en revanche des scènes empreintes de cynisme, comme celle où l’on demande une chaise pour un joueur souffrant. Il y a là un éclair d’humanité alors que le joueur est à l’abattoir. Mais il n’y a pas beaucoup de choses drôles dans ce film. Quand j’ai assisté à des projections, les spectateurs riaient à des moments très différents à chaque fois. J’ai senti que les gens étaient assez secoués. J’ai noté deux scènes où, alors qu’il y avait le silence total, on entendait une sorte de brouhaha : un plan large où le mécanisme du jeu tout à coup se montre, où on voit ce qui va se passer réellement, et tout à la fin, la scène du duel.
Vous parlez de voyage initiatique à propos de votre film. Faut-il voir dans cette histoire l’image d’un parcours individuel ou une métaphore de la société ?
Je voulais m’inspirer de la réalité en général, de ce que la réalité m’apportait tous les jours, mais sans faire d’association directe précise. Je voulais davantage poser des questions que donner des réponses, et que chacun fasse ensuite son tri. Mais avant tout, le but c’était quand même de raconter l’histoire de ce jeune homme.
Comment avez-vous réagi en recevant plusieurs prix ?
C’était une surprise, je n’ai pas fait ce film pour avoir un prix, je n’y pensais même pas parce qu’on n’est jamais spectateur de son propre film, on n’a plus du tout le recul nécessaire. Moi je ne l’ai pas, en tout cas. Quand je vois mon film, je n’en vois que les erreurs, je n’ai pas l’œil frais. Mais même si ça fait plaisir et que c’est un encouragement, un prix récompense un travail déjà fini, c’est du passé. Lorsqu’on démarre un nouveau film, c’est compteur à zéro et ce n’est pas parce que le film a plu et a eu un prix que le travail va en être plus simple.
Est-ce que ça fait peur ?
Si on a un rapport assez sincère à son travail, je ne pense pas.
Aujourd’hui, quels sont vos projets ?
J’ai déjà co-réalisé un deuxième film avec mon père [1] un mois après la fin du montage de celui-ci. Je suis en train d’en écrire un autre. Ce qui m’intéresse, c’est la connerie humaine, la folie humaine. Celui qui apprend à marcher dans une connerie quelle qu’elle soit, il continue, il prend une habitude et ça devient une normalité, il prend du plaisir dans cette normalité qui au départ peut être une absurdité totale.
Votre personnage aurait-il pu continuer dans son expérience de la folie ?
Non, parce que ce personnage, c’est quelqu’un qui rentre dans ce monde et qui en ressort, ce n’est pas quelqu’un qui en fait réellement partie, c’est le seul à ne pas savoir où il va. Quand il en sort, c’est le survivant mais je ne crois pas à une chance éternelle. À un moment donné, ça bascule de l’autre côté.
Propos recueillis à Paris le 31 janvier 2006
[1] Gela Babluani est le fils de Temur Babluani, à qui l’on doit La migration des moineaux, sélectionné à la Semaine de la Critique à Cannes en 1988, et Le soleil des veilleurs, Ours d’argent à Berlin en 1993
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.