Le 7 mars 2018
- Réalisateur : Dominique Rocher
- Plus d'informations : La Nuit a dévoré le Monde : la critique du film
Ce 7 mars sort La Nuit a Dévoré le Monde, un film de zombies qui ne ressemble à aucun autre. Et pas uniquement parce qu’il est produit en France. Nous avons rencontré son réalisateur pour discuter de cette singularité.
La question que l’on peut se poser avant même de voir ton film, concerne la difficulté de financer un film de genre en France. Est-ce toujours aussi dur ou penses-tu avoir profité d’une amélioration du marché ?
Dominique Rocher : On a financé le film à peu près en même temps que Revenge, par exemple, et on n’a pas pu profiter du succès de Grave. Coralie (Fargeat, réalisatrice de Revenge), je la connais bien et on a fait nos films en parallèle, mais ce ne sont pas des productions avec un gros budget. La Nuit a dévoré le monde, c’est 2 millions et demi d’euros. C’est bien pour un premier film, bien sûr, mais ça reste des budgets raisonnables. Heureusement il y a Canal Plus qui nous a aidé à financer le film, et ça n’a pas été facile à tout récolter, mais je crois que la question du genre ne se pose qu’à partir d’un certain cap. Si on avait eu une plus grosse ambition en terme d’entrées de spectateurs, est-ce que les financiers auraient suivi ? Je ne suis pas certain. Le problème que je me pose maintenant, c’est celui de la distribution, et de trouver des exploitants qui montrent le film. C’est vrai qu’il a une tonalité singulière et il n’est pas formaté pour le grand public. A une semaine de la sortie, on a 40 copies programmées, Grave en avait 70. Ça reste des petites sorties.
Tu as un joli casting pourtant. Ce sont des acteurs à qui tu pensais dès la phase d’écriture ?
Non, à part peut-être Golshifteh Farahani que j’avais en tête à l’écriture. Pour l’acteur principal, je ne savais pas. Je ne connaissais même pas Anders Danielsen Lie à ce moment. Quand on est rentré en casting, je n’avais vu ni Oslo, 31 août ni Nouvelle Donne, et Ce Sentiment de l’été sortait à ce moment-là en salles. Du coup j’ai découvert toute sa filmo d’un coup. J’ai aussitôt adoré le cinéma de Joaquim Trier, et du coup Anders dedans, et j’ai tout de suite voulu le rencontrer. Pour Denis Lavant, on y a pensé dès qu’on a eu ce personnage d’Alfred, qui est un import par rapport au roman. Ça a été mon premier choix et la raison pour laquelle il a accepté dès que je l’ai rencontré c’est qu’il n’avait jamais fait. C’était vraiment pour s’amuser pour lui. J’adore les acteurs qui se transforment, et son travail avec Leos Carax et son personnage deMonsieur Merde, c’est un puits créatif dont on avait besoin sur le tournage.
Le postulat du film, il t’est venu en regardant des films de zombies que tu as eu envie de détourner ou bien c’est le roman de Martin Page que tu as eu envie d’adapter ?
Je n’avais du tout pour intention de faire de mon premier film un film de zombies. Il y a une thématique qui m’intéresse particulièrement c’est celle de l’isolement, et en particulier dans les grandes villes. Le film Dans la Brume, qui sort le mois prochain, c’est par exemple un projet de court-métrage que j’avais travaillé, et que le producteur a repris pour en faire un long, et là aussi il est question d’isolement dans une grande ville. Je cherchais une autre histoire pour incarner toutes mes envies et je suis tombé sur ce livre qui est un catalyseur de tout ce qui m’intéressait. On était alors dans la fin de la vague « zombie », du coup cet argument était déjà un peu usé. On avait même déjà des parodies de films de zombies donc je savais que ce ne serait pas évident de partir là-dedans, mais néanmoins je savais quel genre de film je voulais faire et j’espérai tirer mon épingle du jeu dans l’univers des zombies en me les réappropriant. C’était un risque, mais j’ai tenté ma chance.
Cette question d’isolement, et l’aliénation de la solitude, c’est quelque chose qui t’a toujours fasciné ?
Il y a plein d’axes d’approche à cette question. Celle que je voulais approfondir dans ce film c’est celle du rejet de l’humanité. C’est ce que ressent le personnage et que je peux comprendre d’une certaine façon. Je connais ça d’autant plus que, comme lui, je vis à Paris et que j’ai l’impression qu’être constamment entouré de gens, ça exacerbe ce sentiment-là. J’ai grandi dans une ferme isolée avec personne à 10 km à la ronde, c’est une autre forme d’isolement qui m’a mis en tête cette imagerie de l’île déserte. Aujourd’hui je vis dans une ville extrêmement dense, confronté au quotidien à l’individualisme des autres. C’est ce que j’essaie d’exprimer quand, dans le film, Sam dit que pour lui, « les autres ont toujours été des monstres, ce n’est pas surprenant de les voir devenir des zombies ».
Tu as dû réviser les codes du film de zombies avant de te réapproprier ?
Ça s’est fait dans le processus. Je connaissais les plus gros classiques, un peu comme tout le monde. Je n’ai pas creusé jusque dans les films de série B les plus obscurs, il y en a des milliers. Je suis resté, en gros, de La Nuit des Morts-Vivants à World War Z, en passant par des petits films berlinois moins connus. Ce qu’il fallait c’était comprendre les choix de mise en scène qui avaient été fait et voir lesquels réutiliser pour alimenter ma thématique, créer des zombies originaux qui fassent sens avec le film et assurer un traitement réaliste, ce qui était un parti pris dès le début. Par exemple, il y a le fait qu’ils n’ont pas de voix, ce sont des corps morts, qui n’ont pas d’air en eux donc qui ne peuvent pas émettre de sons.
Après, tout s’est concentré sur le traitement du personnage principal, c’est ça ?
Oui, le cœur c’est vraiment ce personnage qui ne veut pas sortir, et puis comprendre comment il va essayer de sortir de l’enfermement mental dans lequel il s’est lui-même enfermé pour aller vers les autres. Tout le mouvement du film est là. C’est simple en soi mais c’est ce que je voulais raconter et tout tourne autour de ça. La mise en scène, mais aussi l’architecture de l’immeuble, tout est pensé pour que la caméra ne quitte presque jamais son point de vue et coller à son parcours mental, et à son ennui. C’est une autre chose qui m’intéressait parce que c’est le vide qui le rend un peu plus dingue.
Filmer l’ennui sans la provoquer chez le spectateur, c’est toujours un défi. Quels changements as-tu fait par rapport au roman pour rendre ce vide plus cinégénique ?
Il y a beaucoup de différences par rapport au livre ! Il se présente comme un journal intime, donc raconté à la première personne, où il livre tous ses sentiments. Dès l’instant où on a su qu’on allait l’adapter on n’a pas voulu de voix-off qui raconte tout, comme une simple mise en images du livre. Pour transformer ce sentiment de difficulté à être avec l’autre, on changer des désirs du personnage, ce qui impliquait de changer la fin, loin du happy end vers lequel tend le livre. D’ailleurs plus le film avance, plus il s’éloigne du livre. Martin m’a dit avoir apprécié cette liberté qui réussit à rester très fidèle de son idée principale. On a aussi fait de lui un musicien, alors qu’il est écrivain dans le livre, ce qui a un impact sur sa façon de s’exprimer. Ce changement majeur a deux origines. D’abord, en préparant le film, on s’est fait la réflexion, avec un ingénieur du son, de l’importance du silence dans la menace que représentaient les zombies, qu’il y avait un intérêt à faire de Sam un musicien pour créer une opposition entre sa volonté de s’exprimer et le danger dans lequel ça le mettait. Ensuite, à ma rencontre avec Anders, j’ai découvert qu’il était lui-même musicien, et plus d’être acteur et médecin (il sait vraiment faire plein de choses !), et qu’il avait fait le conservatoire de batterie. J’ai alors intégré des petites scènes qui ne consistaient plus qu’à faire du bruit, mais à faire de la batterie.
Et à part ces scènes, comment l’as-tu dirigé ?
Toute la difficulté pour Anders c’était d’exprimer cette solitude sur une durée d’un an, alors que sur le plateau il était tout le temps entouré. On en a beaucoup discuté avant le tournage, j’ai passé du temps avec lui à Oslo, et on s’est donné des références. En particulier, Michael Pitt dans Last Days et Adrian Brody à la fin de Le Pianiste. Après, sur le tournage, moi je suis dans l’accompagnement et lui il propose des choses, et ensemble on essaie de trouver la justesse pour faire le film qu’on s’est raconté tous les deux avant.
Galerie Photos
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.