Les entretiens aVoir-aLire
Le 26 septembre 2006
Présent à Deauville, Darren Aronofsky nous parle de son sublissime The fountain.
- Réalisateur : Darren Aronofsky
L'a vu
Veut le voir
Présent à Deauville pour parler de son sublimissime The fountain, Darren Aronofsky, réalisateur de Pi et Requiem for a dream, deux œuvres mirifiques qui ont considérablement marquées le cinéma américain, a réalisé une sorte de miracle qui s’est construit dans les contraintes et la douleur.
Avec son couple romantique Weisz-Jackman au bord de l’évanouissement, The fountain pourrait se résumer à des larmes de chagrin, des mots cruels pour traduire la détresse, des mouvements de caméra uniques. Mais c’est tellement plus : c’est un de ces films qui peuvent prétendre à transcender les attentes, à bouleverser le regard et le cœur : "Personne, je crois, n’a fait un film sur la fontaine de jouvence, même si de façon intrinsèque, elle fait partie de notre culture, notamment dans la Bible. C’est un thème qui m’a toujours fasciné et qui fascine beaucoup de gens. Il y a une vraie culture et une fascination pour la jeunesse. C’est cette source d’inspiration qui m’a poussé à faire ce film. Le film parle plus de recyclage que de réincarnation. Un arbre donne un fruit, etc. Il y a beaucoup de croyances différentes sur ce qui se passe après la mort, il fallait faire un film pour que tous les publics aient des interprétations dissemblables. Chacun peut s’y retrouver. C’est accessoirement une œuvre sur l’acceptation de la mort, comment on accepte la mort avec dignité et grâce. Le thème fondamental du film vient de là : de notre expérience de la mort à travers l’être humain. De notre relation à la mort qui fait partie intégrante de l’humanité. Dans les jardins d’Eden, il y avait deux arbres : celui de la vie et celui de la connaissance. Lorsque Adam et Eve ont goûté aux fruits de l’arbre de la connaissance, avant de pouvoir goûter à l’arbre de vie, ils furent chassés du paradis par Dieu lui-même. Dans une croyance, il est dit également que s’ils avaient goûté au fruit de l’arbre de vie, ils auraient perdu leur part d’humanité."
Projet maudit ? Oui, assurément. Par exemple, les scènes de batailles épiques sont limitées par le rétrécissement de budget mais Aronofsky s’en est accommodé magistralement : "Au départ, The fountain devait être un film immense qui devait se tourner en Australie avec un budget de 90 millions de dollars. Lorsque la production a décidé de fermer le film, nous étions littéralement à sept semaines du début du tournage et 18 millions de dollars avaient déjà été dépensés. Le défi à relever était réel parce que nous ne voulions pas abandonner ce projet. On a arrêté le projet en novembre 2002 et les sept mois qui suivirent étaient pour nous très sombres. Tous les jours, je tannais mon producteur Eric Watson pour lui demander quand on reprenait le projet. Nous avons développé des idées qui feront partie de mes prochains projets mais je n’arrivais pas à trouver le sommeil tellement j’étais hanté par ce film. J’allais dans mon bureau et je regardais toutes les notes que l’on avait prises, je me rendais compte qu’il était impossible d’abandonner ce projet. Ça virait à l’obsession. Au fond, je n’avais plus besoin d’écrire pour un studio, je n’avais plus besoin d’avoir une méga-star puisque personne n’en voulait plus apparemment. Je pouvais enfin donner ma propre vision du film. Après tout, Pi avait été fait pour 60 000 dollars. Nous sommes des indépendants, je me suis dit que nous allions faire une version indépendante d’un film onéreux. J’ai mis alors deux semaines et demi à l’écrire, et nous avons fait un nouveau scénario. Eric m’a dit que nous n’avions pas un scénario, mais un poème. Le film que nous avons construit n’a coûté que 30 millions de dollars au final. Et paradoxalement, je le trouve meilleur que celui auquel nous avions pensé."
Contrairement à Requiem for a dream qui aspirait le spectateur dans son malaise et montrait dans sa splendeur éclatée une descente aux enfers tétanisante, The fountain permet non seulement au réalisateur de renouveler son style et surtout d’assurer que ses effets de mise en scène n’ont rien de gratuit et ne servent qu’à retranscrire la puissance du propos. Ici, il s’agit de filmer la transcendance de l’amour dans un grain bain d’irrationnel afin d’opposer le scientifique à des événements qui le dépassent : "Que ce soit dans Pi, Requiem for a dream et The fountain, les personnages sont différents. The fountain et Pi sont plus proches essentiellement parce que je me suis occupé du scénario alors que Requiem for a dream était écrit par Hubert Selby Jr. On a volontairement éliminé toute ressemblance avec les personnages de Requiem for a dream, qui n’étaient pas cérébraux. Je crois que ce qu’il faut retenir de The fountain, c’est qu’il s’agit d’une belle et simple histoire d’amour, celle d’une femme qui va mourir tragiquement et d’un homme qui n’accepte pas cette réalité-là. Je ne voulais pas que le sentiment amoureux vienne de manière évidente et je désirais que la démarche soit plus cérébrale. Nous nous sommes amusés à tordre la structure narrative en ce sens."
Les personnages sont souvent filmés en clair-obscur pour sonder les tourments de leur âme. The fountain devient une course contre la montre : le sentiment de culpabilité qui ravage la raison se mue en combat pour sauver la personne aimée qu’Aronofsky ne retranscrit pas par des dialogues lourdement explicites mais des silences ou des discussions inachevées où les personnages fondent en larme sans pouvoir finir leur phrase. Le thème de la mort a longtemps hanté le cinéaste : "Je me souviens juste de toujours avoir été effrayé par la bombe nucléaire. Je me souviens qu’à l’époque, j’avais écrit des poèmes terribles sur le fait de mourir lors d’une attaque nucléaire. Dans les années 70, on avait toujours peur de la Guerre Froide. Aujourd’hui, les enfants ont peur du terrorisme. Je me suis toujours demandé comment allaient devenir ces enfants qui dans cette très courte période n’ont eu aucune de ces peurs. Je me suis toujours demandé comment ils deviendraient adultes.
The fountain montre des personnages actuels qui brouillent les repères temporels pour pénétrer dans une histoire et donner un achèvement apaisé. C’est à travers l’art que les personnages transcendent leur détresse et leur amour parce que l’œuvre d’art demeure et que la vie s’arrête. Aronofsky illustre son projet très ambitieux et très casse-gueule avec une maestria ahurissante et une froideur apparente qui explose dans une dernière demi-heure dont le choc visuel et émotionnel est comparable à celui de Requiem for a dream. On ne l’écrit pas souvent alors écrivons-le : chef-d’œuvre absolu.
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.