Le 16 mars 2006
Rencontre avec Céka et Clod dont vient de sortir une adaptation très réussie du Procès de Kafka.
Ils viennent de commettre ensemble une adaptation très réussie du Procès de Kafka. Rencontre avec Céka (la plume) et Clod (les pinceaux), un couple qui a d’autres projets en commun. Réjouissons-nous !
Céka et Clod, pouvez-vous vous présenter ?
Clod : Hum, Clod, illustrateur et dessinateur. Le procès est mon premier livre en tant qu’auteur, même si j’ai auparavant participé à plusieurs ouvrages aux éditions Petit à Petit, dans la collection "Chansons et poèmes en bandes dessinées".
Céka : Je suis donc le scénariste ! J’ai également collaboré à une douzaine d’ouvrages chez Petit à Petit, dans la même collection. À côté du Procès, j’ai d’autres séries en préparation chez Akileos. Une de science-fiction, qui s’appelle Egovox, avec Yigaël (sortie mai 2006), et Billy Wild, un western fantastique en deux tomes, dessiné par Guillaume Griffon, qui devrait sortir en fin d’année.
Que retenez-vous de l’expérience Petit à Petit ?
Céka : C’était mon premier travail professionnel pour l’édition... Petit à Petit m’a donc mis le pied à l’étrier ! Puis de fil en aiguille, j’ai également travaillé pour différents magazines, avec Clod et d’autres dessinateurs.
Clod : Mon parcours est à peu près le même que celui de Céka. On a été parmi les premiers auteurs d’Olivier Petit qui venait de monter sa maison d’édition. Mais le projet d’adaptation du Procès ne l’intéressait pas. On l’a alors proposé à Akileos qui était déjà en contact avec Céka sur Egovox. L’éditeur a eu un coup de cœur. La décision de le faire ensemble a donc été prise assez rapidement ! Pour l’année prochaine, on a prévu d’adapter un autre écrivain pour Akileos, mais je ne dirai pas qui... (rires)
Céka, comment t’est venue l’idée d’adapter le roman de Kafka ?
Céka : Il se trouve que je connais Clod depuis pas mal d’années, et que depuis toujours il me parle de Kafka, et de son envie d’adapter Le procès. C’était une obsession pour lui. Tous les deux, je crois qu’on attendait d’être assez mûrs, d’être à l’aise pour l’adapter en bande dessinée. C’est un projet plutôt ancien, en fait !
Clod : Je suis un grand amateur et connaisseur de Kafka, et cette adaptation est un rêve que je caresse depuis longtemps, en effet. J’attendais moi aussi d’être suffisamment mature dans mon dessin pour le faire... Voilà, je l’ai fait, je suis content.
Céka : Ce qui nous a plu avec Akileos, c’est d’avoir carte blanche pour le faire. Ceci dit, quand on a présenté le dossier, on avait déjà établi le synopsis séquencé, mais aussi le traitement graphique. Donc l’éditeur savait où il allait... Après, la liberté de créer était totale. Le rêve pour un auteur, et le rêve pour un premier album ! (rires) Ce qui est bien moins contraignant que ce que l’on fait chez Petit à Petit où l’on doit toujours rester très proche de l’œuvre originale parce que c’est le principe de la collection... et ce qui en fait l’intérêt d’ailleurs !
Céka, as-tu fait d’importants changements par rapport à l’œuvre originale ?
Céka : à la base, nous sommes de véritables admirateurs de Kafka et de ce chef-d’œuvre : on a donc bien sûr tenu à conserver le fil conducteur du roman. C’est bien le procès du héros qui forme l’ossature de l’album ! Par contre, on souhaitait resserrer l’intrigue, ce qui nous a obligés à supprimer certaines scènes du livre et des personnages secondaires. On s’est plus concentré sur d’autres, notamment le personnage féminin de Leni qui prend plus de place dans la BD...
Clod : graphiquement, nous nous sommes permis quelques libertés, des métaphores graphiques. Par exemple, l’avocat Huld, qui est un ténor du barreau dans le roman, nous l’avons représenté sous une forme gargantuesque, il dévore les dossiers... Ceci pour représenter son pouvoir ! On a aussi fait des clins d’œil aux courants artistiques de l’époque : le cubisme, l’expressionnisme allemand... Le décor de la ville de Prague subit des déformations voulues, influencées par ce mouvement, qui ancrent l’œuvre dans l’époque où elle a été écrite originellement.
Justement, il n’y a pas de repères d’espace ou de temps dans Le procès... Pourtant, vous avez choisi le Prague et l’époque de Kafka.
Céka : C’est une œuvre intemporelle, universelle. Quant à placer l’histoire à Prague, l’idée est venue assez naturellement, car Kafka était un peu prisonnier de sa ville natale. Il avait avec elle une relation d’amour... et de répulsion ! Nous sommes d’ailleurs allés à Prague, presque en pèlerinage, pour nous imprégner de l’atmosphère et de l’esprit de la ville.
Clod : Pour ma part, j’y suis allé longtemps avant de travailler sur la BD. C’était déjà en tant que fan de Kafka. J’ai pris beaucoup de photos. Indépendamment, c’est une ville qui vaut le détour.
Le sujet principal du Procès est l’absurdité de la machine judiciaire. C’est un sujet qui est toujours d’actualité...
Clod : Effectivement. Le sujet est plus précisément les tyrannies modernes, c’est ce qui fait l’essence du message. Ces tyrannies peuvent être d’ordre politique, d’ordre religieux, d’ordre social, d’ordre philosophique aussi. Il y a tout un versant existentiel dans l’œuvre de Kafka, et on a essayé de garder ce côté "récit à tiroirs". C’est intéressant, car j’ai rencontré des gens qui ont interprété certaines scènes de manières très différentes. C’est aussi mon cas, puisqu’en lisant le roman à des âges différents, j’en ai tiré des interprétations diverses. L’œuvre de Kafka n’a pas un seul sens, en fait. Chacun lui donne le sens qu’il veut bien lui donner, avec son vécu, son expérience. Chacun a son Procès.
Céka : C’est le propre d’une œuvre universelle d’être toujours le miroir de nos interrogations existentielles, à chaque moment de notre vie.
J’ai récemment vu une adaptation du Procès au théâtre. J’y ai retrouvé des similitudes avec votre vision de l’œuvre de Kafka, notamment un côté comique, humoristique...
Céka : Kafka est réputé pour le côté angoissant, noir, oppressant de ses œuvres. Mais ce stéréotype kafkaïen est réducteur. On ne voulait pas refaire Le procès d’Orson Welles [1]. On voulait mettre en avant un autre aspect de son talent : son humour loufoque ! Kafka revendiquait ce côté humoristique. D’ailleurs, lorsqu’il lisait des passages de son roman dans des salons littéraires, ses amis riaient de bon cœur.
Clod : Il y a vraiment un humour noir chez Kafka, que l’on pourrait rapprocher de celui de Desproges. Par exemple, on trouve sur le bureau du juge un livre érotique. C’est plutôt incongru. C’était dans le roman. On a rajouté une pomme, pour symboliser le péché originel...
On va quitter Le procès pour parler de vous. Quels sont les auteurs de BD qui vous inspirent, que vous admirez ?
Céka : C’est assez amusant car, à l’image de mon travail scénaristique, j’ai des goûts de lecture assez éclectiques. Ça pourrait aller de Tronchet à Comes en passant par Boucq ou Will Eisner. Mais je ne me vois pas forcément faire la même chose qu’eux, ni en avoir le talent d’ailleurs ! Côté scénario, je suis impressionné par Van Hamme ou Desberg qui sont de grands dramaturges, avec des structures bien huilées, je trouve, et un très bon sens du suspense...
Clod : Au niveau de mon travail, je m’inspire beaucoup de l’expressionnisme allemand. Au niveau BD, j’ai tout de même un maître graphique, qui est Foerster, qui officiait à une époque chez Fluide glacial. Lui-même s’inspirait de l’expressionnisme allemand. J’aime aussi Tardi, et les représentants de "la nouvelle BD". Ils ne m’influencent pas, mais j’aime bien. Ah, je suis peut-être influencé par Hergé, dans mon découpage simple, sans effet de cadrage...
Quels sont vos projets ?
Clod : Eh bien je travaille sur un nouvel album avec Céka, toujours pour Akileos, prévu pour 2007. J’ai également signé un scénario chez Petit à Petit ; l’album devait sortir il y a déjà un an ou deux, mais le dessinateur peine à finir l’album. Sortie courant 2006, voire début 2007.
Céka : Chez Akileos, j’ai donc deux autres séries en cours : Egovox, une trilogie de SF, et Billy Wild, un western gothique en deux tomes. Pour Petit à Petit, j’ai participé au Brassens en BD qui va sortir incessamment sous peu... J’ai aussi d’autres projets à côté, mais rien de signé pour l’heure, même si je suis assez confiant !
Céka et Clod, merci.
Propos recueillis à Paris, le 24 février 2006
[1] Film sorti en 1962, avec Anthony Perkins, Jeanne Moreau et Romy Schneider
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