Les entretiens aVoir-aLire
Le 27 janvier 2004
Désir, pouvoir et jouissance sont toujours au cœur de la réflexion de la cinéaste qui brave les diktats sociaux pour asseoir une œuvre intransigeante et lucide.
- Réalisateur : Catherine Breillat
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Catherine Breillat réalise Anatomie de l’enfer, qui serait le dernier volet d’un cycle. Désir, pouvoir et jouissance sont toujours au cœur de la réflexion de la cinéaste qui brave les diktats sociaux pour asseoir une œuvre intransigeante et lucide.
Vous filmez l’adolescence, le passage à l’âge adulte, est-ce que vous pensez que c’est la période de la vie la plus complexe ?
Je filme la violence de la confrontation. J’espère que pour les personnages ce n’est pas un passage à l’age adulte. Le principe de l’adolescence, c’est renier le monde. On pense qu’on ne deviendra jamais comme ses parents. Et je trouve ça beaucoup mieux qu’être raisonnable. C’est l’époque de tous les espoirs. Il y a déjà le désir de plaire. Ou plutôt, les adolescentes se rendent compte qu’elles plaisent et c’est un piège. Elles y perdent tout. C’est un marché de dupes. Elle est très mignonne et intelligente, la petite Helena, dans A ma soeur. Elle a le malheur d’avoir quinze ans et de croire qu’elle est aimée parce qu’un garçon lui fait la cour. C’est un malheur. Elle devrait être aimée. C’est parce que le monde est horrible et qu’elle ne le sait pas encore.
Vous avez dit à propos de ce personnage qu’elle essayait de correspondre à un modèle. Qu’en fait elle demandait de l’amour, un discours amoureux...
Bien sûr. Elle demande un discours amoureux parce que ça lui semble logique. Elle n’imagine même pas que ça puisse être autre chose. Elle ne pense pas que le désir puisse ne pas être lié à l’amour. On essaie toujours de croire au discours amoureux. Le premier qui nous dit des mots d’amour, on y croit tous. Et tant mieux. Il y a des vérités éphémères, qui ne sont pas forcément de la manipulation. L’acteur, je le lui faisais jouer comme une déclaration d’amour, et il y croyait. Nous on savait comment l’histoire allait tourner. Quand on est spectateur, on sait tout. Mais quand on est dedans, même lui ne sait pas qu’il ne l’aime pas plus longtemps que quand il le dit. Ce sont des paroles d’éternité mais on en a besoin. Ça fait partie de l’instinct de reproduction. C’est dans l’ordre des choses.
Rohmer parle aussi de l’adolescence et des rapports amoureux. Comment vous situez-vous par rapport à sa démarche ?
C’est la langue supérieure. Rohmer ne joue pas avec la beauté de l’image. Il joue sur le langage. Il est dans une étroitesse de notre société. Il filme des jeunes qui n’ont pas de rêves. Moi je filme des gens qui ont des rêves. Ce sont peut-être des miroirs aux alouettes, mais ils ont des rêves.
Le cinéma pornographique véhicule une fausse sexualité. D’autres films traitent d’une sexualité à l’eau de rose, idéale et bienheureuse. N’êtes-vous pas dans une troisième voie qui serait plus proche de la réalité ?
Le porno, ce n’est pas du cinéma, c’est une industrie mafieuse. Il y a une industrie du X qui a été formatée par la loi qui prétendait le réprimer. C’est un regard à la fois de censeurs et de marchands. C’est ce qu’il y a de pire. Un regard concupiscent. Moi je ne veux pas qu’on me dise que je suis comme ça quand je fais l’amour. Des hommes qui font l’amour comme ça je n’en veux pas. Les filles sont là, la lèvre pendante, en se disant qu’est-ce qu’il faut que je fasse à l’image pour avoir l’air de faire quelque chose ? Est-ce que je dois lui lécher les couilles ? Où est le plaisir ? Il n’y a aucune jouissance. Aucune envolée vers un ailleurs. Ils dégorgent le poireau, c’est tout ce qu’ils font. Il n’y a pas d’abandon, il n’y a rien. Moi, c’est cet abandon que je filme sur le visage des femmes. Et je vois bien que c’est beau. Et d’ailleurs, même sur le visage des hommes, c’est beau. Dans mon film, c’était beaucoup plus difficile, pour Rocco. Tout d’un coup, il jouit, et il y a une faiblesse. Il y a un abandon qui est du domaine de l’humain. Et ça c’est beau. Et bien ça n’existe pas dans les films pornos. Or l’acte physique ne peut pas être dissocié d’un sentiment humain très fort. Que ce soit un sentiment amoureux, de violence, de désir de domination, de honte ou de dépravation. Et là, il n’y a qu’un sentiment de gymnastique. Je pense que c’est même dommageable à la constitution de la libido des personnes. C’est une sorte de crime contre la beauté humaine.
Même une partouze c’est plus poétique dans la vie.
On a parlé d’odyssée sexuelle, à propos de Romance...
Oui, on peut penser que le film est une quête héroïque. On est dans le domaine du mythe, de la traversée des épreuves. Oui, un voyage mythologique. Ce n’est pas un voyage du désir, c’est un voyage de l’identité.
Dans la quête héroïque, il y a toujours des tentations de l’ordre de la pulsion sexuelle. Par exemple, Robert la fait passer de l’autre côté. Ce n’est pas quelqu’un qui l’initie au sado-masochisme, c’est quelqu’un qui, en l’attachant, lui fait vivre quelque chose qui était du registre du remugle, chez elle. Elle le vit d’une manière éblouissante, et elle passe de l’autre côté. C’est un exorcisme. Un passage initiatique.
Et votre dernier film ?
Anatomie de l’enfer ? C’est une femme qui paie un homme quatre nuits, pour la regarder par là où elle n’est pas regardable.
On pense à La maladie de la Mort, de Duras...
Oui, je voulais l’adapter, mais c’était impossible. Alors je l’ai écrit moi-même. C’est un sujet qui n’en est pas un, qui passe forcément par une écriture, et qu’après tout, je savais écrire. C’est ce que j’appelle un sujet essentiel. C’est comme Roméo et Juliette. Il y a des sujets où c’est tellement "un homme face à une femme" que c’est le sujet du sujet. Il n’y a presque pas de sujet. C’est un sujet mythique philosophique de réflexion sur notre propre existence. Après, il y a l’écriture.
Propos recueillis le 14 novembre 2003
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