Le 28 juin 2006
- Réalisateur : Karey Kirkpatrick
- Acteur : Bruce Willis
Petits et grands secrets de fabrication. Rencontre au sommet autour de Nos voisins, les hommes.
Petits et grands secrets de fabrication. Rencontre au sommet autour de Nos voisins, les hommes.
Quand Bruce Willis et Jeffrey Katzenberg, le patron de Dreamworks (avec, excusez du peu, Spielberg et Geffen) se retrouvent à Paris, ils font les choses en grand, et louent une suite au dernier étage de l’hôtel Georges V, à deux pas des Champs Élysées. Accompagnés pour l’occasion par Karey Kirkpatrick, co-réalisateur de Nos voisins, les hommes, ils ont répondus à nos questions. Kirkpatrick vif et passionné, Katzenberg en intervenant rigoureux, et Willis à moitié endormi, vautré sur son fauteuil, retrouvant in extremis son sens de l’humour.
Nos voisins, les hommes est-il une critique de la société de consommation à l’américaine ?
Karey Kirkpatrick : Bien sûr. C’est ce qui nous a plu dans la BD qui a inspirée le film [1]. Cette BD nous a offert un point de vue unique : comment regardons-nous les animaux qui peuplent nos jardins. Les villes ne cessent de gagner de l’espace sur la nature, et quand nous pensons que les animaux envahissent nos jardins, ils pensent que nous sommes ceux qui envahissent leur jardin. A leurs yeux, nous sommes sans aucun doute les plus étranges animaux qui soit. Nous avons à notre disposition tout ce dont nous avons besoin, à toute heure de la journée. Cela est particulièrement vrai pour nous Américains qui appliquons les recettes de la consommation de masse mieux que personne. Partant de là, nous avons pensé que ce serait d’autant plus amusant de rire de ce travers, et d’en faire une comédie.
Pourquoi avoir choisi le point de vue d’animaux plutôt que celui d’humains qui s’opposeraient à ce type de société ?
K.K. : Ce point de vue permet une plus grande innocence dans le propos et permet de faire rire plutôt que de donner des leçons. Les animaux, de leur point de vue unique, se trompent bien souvent. Par exemple, il y a cette scène où ils découvrent un 4x4, et déduisent que cette machine permet aux hommes de se déplacer car ils ne peuvent plus se servir de leurs jambes.
Le titre original du film, Over the hedge, place la haie qui sépare la forêt des jardins comme un véritable symbole. Quel est ce symbole ?
K.K : C’est un parfait symbole de la fracture entre la nature et l’homme, car c’est naturel, c’est un buisson, mais façonné par la main de l’homme, rendu carré.
La haie est pourtant absente du devant des maisons aux Etats-Unis, à la différence de la France, par exemple, où chacun ferme l’entrée de sa demeure.
Jeffrey Katzenberg (qui visiblement n’a pas compris ma question...) : C’est un problème historique. Les villes françaises devaient se protéger contre les envahisseurs...
Bruce Willis (s’invite dans le débat et en rajoute une couche...) : Aux Etats-Unis, nous n’avons pas l’habitude d’être envahis par d’autres pays. Des murs ont été construits autour de Rome ou de Moscou pour la même raison. Même chose à Paris. Il y a 2000 ans, les pays qui disposaient de plus d’hommes, de meilleures armes ou de meilleurs catapultes, par exemple essayaient de mettre la main sur les autres pays.
K.K. (plus éveillé) : En fait, le fait qu’il n’y ait pas de barrière devant les maisons est avant tout un choix économique. Les entrepreneurs font des économies là-dessus dans les banlieues comme celle de Nos voisins, les hommes. La raison pour laquelle nous avons des haies à l’arrière de nos maisons, c’est parce que nous empiétons sur la forêt. La haie permet de maintenir la forêt à l’écart des maisons, et de protéger les jardins contre les animaux. Mon avocat habite à côté d’un bois, et il a une pelouse synthétique. A une époque, un raton laveur venait chaque nuit dans son jardin et enroulait littéralement la pelouse pour attraper les insectes qui vivaient en dessous. En gros, les gens veulent tenir éloignés les animaux de leurs jardins, et notre film leur rappelle que ce sont nous qui somme dans leur jardin.
Pourquoi avoir choisi un raton-laveur pour héros ?
K.K : R.J. [2] est presque plus humain qu’il n’est animal. Les ratons-laveurs sont extrêmement habilles de leurs mains et ils sont sans doute les animaux les plus présents dans notre univers car ils savent ouvrir un frigo, une poubelle, et se servir.
B.W. : Ils se sont parfaitement adaptés à la présence de l’homme.
J.K. : ...et ils portent des masques !
B.W. : Et ils viennent piquer la nourriture des humains. Ils sont bien plus intelligents que, par exemple, une vache.
K.K. : En plus, ils sont tellement mignons qu’on leur donnerait à manger quoi qu’il en soit !
Avez-vous pensé à Bruce Willis d’entrée de jeu pour donner sa voix à R.J. ?
K.K. : On a d’abord réfléchi à la personnalité de ce raton-laveur. Il intègre un groupe d’animaux pour se jouer d’eux. C’est un personnage qui fait preuve de duplicité, ce qui risque d’en faire un héros peu sympathique. Nous avions besoin de quelqu’un qui puisse apporter du charme, de la vulnérabilité à ce personnage. Nous avons assez souvent pensé à David Addison (le personnage incarné par Willis dans Moonlighting de 1985 à 1989, série qui a l’a lancé), et donc on s’est dit que ce serait super d’avoir Bruce pour ce film. Dès que nous avons commencé à travailler ensemble, c’est devenue une évidence qu’il était R.J. Ensuite, nous avons peaufiné le personnage, en laissant à Bruce une grande part d’improvisation, une grande liberté.
B.W. : Ça a quand même pris trois ou quatre mois pour trouver la voix du personnage telle qu’on l’entend dans le film. En Russie, l’acteur qui double R.J. est dans un timbre beaucoup plus grave que moi. J’ai dû prendre une voix plus haute, car ma voix était trop sérieuse...
K.K. : Quand Bruce parle avec sa propre voix, ça rend le personnage trop menaçant, trop dur.
Comment plaquez-vous la voix sur les images ?
J.K. : La voix vient d’abord. Le film est basé sur la voix des acteurs. Les responsables de l’animation se mettent au travail après que les textes sont enregistrés.
B.W. : Pendant que j’enregistrais, il y avait une petite caméra qui me filmait, pour pouvoir donner à mon personnage des gestes qui soient les miens.
J.K. : Si vous regardez avec attention R.J., sa façon de bouger, de sourire, ressemble beaucoup à celle de Bruce.
Aviez-vous une idée de ce à quoi ressemblait R.J. quand vous enregistriez sa voix ?
B.W. : Pas pendant les huit premiers mois. Ensuite, j’ai pu voir quelques scènes, d’abord dessinées à la main, puis en animation. En fait, la réalisation suit à distance l’enregistrement des voix.
K.K. : Il y a en permanence 44 animateurs qui attendent les enregistrements pour se mettre au boulot. C’est à mon sens la meilleure technique, car les acteurs permettent de donner vie aux personnages, de leur donner une personnalité, et les techniciens donnent ensuite corps à ces personnages. C’est un travail particulièrement dur pour un acteur, qui est habitué à allier son apparence à son texte.
B.W. : Le pire, c’est que nous enregistrions les lignes du texte une à une. C’est donc extrêmement dur d’être drôle, car il faut insuffler de l’humour dans chacune de ces minuscules particules de comédie. De plus, je n’avais pas de public autour de moi pour me dire si j’étais drôle...
K.K. : C’est un peu comme voler sans visibilité...
B.W. : Quand je joue dans une comédie, je travaille à trouver un rythme comique, une dynamique. Ici, enregistrant seul mon texte, ligne après ligne, je n’ai jamais vraiment été sûr de moi. C’était très délicat.
Vous sentez-vous proche de votre personnage ?
B.W. : J’ai basé R.J. sur le rôle de David Addison dans Moonlightning. Je suis proche de lui dans la mesure où je m’éclate dans mon existence, je sais être drôle et joyeux et je sais mentir si besoin est - dans un film, bien sûr.
J.K. : Le personnage de R.J. existait déjà avant le travail de Bruce. Il l’a juste arrangé à sa façon. Pour connaître un peu Bruce, je ne vois pas R.J. en lui.
B.W. : En fait, j’ai déjà joué ce rôle en tant qu’être humain il y a 22 ans (dans Moonlighting, ndlr). Je n’ai fait que réutiliser ses caractéristiques pour Nos voisins, les hommes.
J.K. : R.J. est quelqu’un qui, de nature, prend aux gens. Bruce donne aux gens. Ils sont en ce sens totalement opposés.
K.K. : Oui, sauf que Bruce fouille les poubelles pour trouver de quoi manger, de temps en temps, comme nous tous.
B.W. : Pardon ?
J.K. : Tu manges dans les poubelles.
B.W. : Tout le temps ! Ils ont besoins de m’arrêter, sinon je ne me contrôle pas. Surtout ici à Paris ! La bouffe est meilleure dans vos poubelles que dans la plupart des grands restaurants américains !
Propos recueillis à Paris le 26 juin 2006
[1] Over the hedge, de Michael Fry et T. Lewis, en quotidienne dans la presse depuis 1995
[2] Riton dans la version française
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