Le 6 octobre 2022
Annie Ernaux pousse son caddie et nous en apprend beaucoup sur elle-même.
- Auteur : Annie Ernaux
- Editeur : Flammarion
- Genre : Roman & fiction, Littérature blanche
- Date de sortie : 23 mai 2018
- Plus d'informations : Le site officiel
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Notre avis : Le journal d’Annie Ernaux, qui prend pour cadre un hypermarché de Cergy-Pontoise, avait initialement paru dans la collection Raconter la vie, initiée par l’historien Pierre Rosanvallon. Ce projet, à la fois littéraire et citoyen, s’était assigné un but essentiel : parler des vies ordinaires, évoquer des expériences professionnelles et personnelles que les médias ignorent globalement et dont un grand nombre d’ouvrages se détournent. La collection de livres éditée au Seuil a aussi été une plateforme web participative, où tout un chacun pouvait témoigner d’une expérience, échanger avec d’autres membres. Cette mosaïque d’existences témoigne d’une pluralité sociologique qui se cristallise dans un certain nombre de lieux. Et quoi de mieux qu’un hypermarché pour témoigner de ces vies qui se côtoient dans un même espace, de cette juxtaposition d’individus étrangement ignorée par la littérature ? On saura gré à Annie Ernaux d’en avoir entrepris la description, à travers la forme du journal, qui n’est pas innocente, puisqu’elle réintroduit de la subjectivité, là où l’essai aurait asséché le propos par une prévalence attribuée à la réflexion. On la remercie également d’explorer un lieu en même temps qu’une thématique, non pas pour lui donner une légitimité, mais parce qu’il n’existe pas d’endroit dont on ne pourrait parler pour le constituer en tant qu’ objet littéraire.
Hélas, les déambulations de l’auteur ne se cantonnent pas à une forme purement narrative qui constituerait la tentative d’épuisement d’un espace. On le sait : l’hypermarché obéit à une logique commerciale dans laquelle infuse la philosophie agressive de l’ultra-libéralisme. Mais est-il besoin de surligner ce phénomène ? Est-il nécessaire qu’à la réalité des produits et des attitudes consuméristes se superpose l’éclairage de la penseuse qui pousse la réflexion en même temps que le caddie, comme si nous n’étions pas capables d’inférer la réalité d’un choix économique, où s’organisent la rationalisation effrénée des tâches, l’injonction à l’achat, dissimulée derrière les atours pernicieux des slogans les plus rutilants ? Est-il indispensable qu’Annie Ernaux, relevant avec justesse les stéréotypes de genres à l’œuvre dans les jouets proposés aux enfants, précise qu’elle participerait au saccage des rayons avec les FEMEN, pour dénoncer ce fléau ?
On peut adhérer à la colère, sans manquer de relever les affectations, les postures de celui ou celle qui endosse le costume de l’intellectuel et ne résiste pas au bon mot, pour moucher une caissière accorte. A la pauvre qui, benoîtement, lui propose une carte de fidélité -c’est son métier-, Ernaux rétorque : "Je ne suis fidèle à personne !". Au cas où le sous-texte de cette répartie ne signerait pas un acte de résistance, ne nous apparaîtrait pas comme le refus courroucé de la citoyenne qui ne s’en laisse pas compter, voici le mode d’emploi : "Je ne voulais simplement pas me soumettre à la stratégie d’incitation consumériste pratiquée par toutes les grandes surfaces". Sans blague.
Le récit paraît ce mois-ci dans une excellente collection pour les scolaires : Classiques et contemporains. Il est accompagné d’un dossier pédagogique somme toute attendu, où la dénonciation de l’économie marchande, d’hier à aujourd’hui, de Boris Vian à Alain Souchon, situe l’œuvre d’Annie Ernaux dans une tradition indignée.
Parution : 23-05-20018
Editeur : Flammarion
Collection : GF Etonnants Classiques
160 pages - 125 x 177 mm
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