Jedi dans la brume
Le 11 novembre 2015
Un court film de Kurosawa lors de son,passage au studio Toho. Une oeuvre rare et poétique réalisée pendant la guerre et interdite 7 ans durant par l’occupant américain.
- Réalisateur : Akira Kurosawa
- Acteurs : Takashi Shimura, Masayuki Mori
- Nationalité : Japonais
- Editeur vidéo : Wild Side Video
- Durée : 59 mn
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Sortie DVD et Blu ray : 28 octobre 2015
A l’heure où tous les fans de Star Wars attendent la sortie du dernier opus, il est intéressant de constater que la figure du chevalier jedi est loin d’avoir été inventé par la saga. Avant La forteresse cachée (qui inspira fortement Lucas pour La guerre des étoiles), Akira Kurosawa réalise un court film,Qui marche sur la queue du tigre, conte spiritualiste posant les jalons de l’œuvre à venir et vibrant hommage à la civilisation japonaise et à sa longue tradition des samouraïs. Une histoire d’hommes mus par l’honneur, le devoir, le respect mutuel et les enseignements du Bouddha.
L’argument : Le seigneur Yoshitsune, accompagné de six de ses hommes, est poursuivi par les sbires de son frère, le shogun Yoritomo. Déguisés en moines, leur seul échappatoire réside dans la traversée d’une frontière étroitement surveillée. Avertis du danger qui les guette par leur porteur, ils décident de faire passer Yoshitsune pour un simple subalterne.
Notre avis : « Méritants ceux qui sauront marcher sur la queue du tigre sans le réveiller... » Troisième long-métrage d’Akira Kurosawa réalisé en 1945, Qui marche sur la queue du tigre semble tout entier construit autour des contraintes de production : contexte de guerre, jeune réalisateur, budget dérisoire... La minceur du scénario et le manque d’enjeux (des hommes de valeur devant ruser pour se déplacer d’un point A à un point B) constituent une étoffe rustique sur laquelle le réalisateur peut broder assez librement les motifs qui serviront de base à l’élaboration d’une œuvre colossale à l’esthétique virtuose. Avec peu de moyens, le jeune Kurosawa fait déjà preuve d’un talent unique pour filmer les décors naturels, si bien que le film semble nimbé par une sorte d’aura étrange et mystique qui lui donne de vagues allures de Seigneur des anneaux. Loin du vacarme et du fracas des armes d’un Ran où Kurosawa affichera des ambitions formelles à la limite de l’impressionnisme, Qui marche sur la queue du tigre est tout entier composé de silences et d’attente, la parole et la réflexion spirituelle supplantant toute forme d’action. On désire ardemment le moment où tout va basculer, le combat inévitable, la mise en mouvement des corps puissants des guerriers prêts à tout pour défendre leur honneur. Kurosawa nous le refuse sciemment et troque la joute guerrière pour une parole performative. Dans un climax aux accents épiques, le moine Benkei, détenteur de la sagesse, assène aux gardiens de la frontière les neuf incantations de la parole vraie comme autant de coups d’épée venus terrasser leurs dernières défenses. Une scène mémorable, quasi surréaliste, où Kurosawa fait de son personnage, possédé et écumant son flot de paroles, un véritable réceptacle de la parole du Bouddha.
Le cinéaste expérimente ici nombre de ces thèmes de prédilection, en particulier ceux de l’identité, du double et de la culpabilité, Qui marche sur la queue du tigre apparaissant en ce sens comme la première étape menant à La forteresse cachée et Kagemusha. Kurosawa joue sur les oppositions, les faux semblants et offre un rôle prépondérant au porteur, sorte de joyeux drille bouffon voire carrément loufoque qui tranche radicalement avec les sept guerriers, un nombre évocateur pour les cinéphiles. Le fou n’est jamais loin. Mais finalement qui est le fou dans cette histoire ? Précisons que c’est par la parole du « fou » que vient la salvation car il est celui qui prévient du danger. Dans un monde où les valeurs sont renversées ,écho au chaos de la seconde guerre où les justes sont obligés de fuir ou de biaiser pour rester en vie, les valeurs traditionnelles du Japon ont-elles encore leur place ? Ce porteur, avec ses mimiques saugrenues, ses singeries et autres gesticulations, agit comme un témoin du passage du temps et c’est à travers ses yeux que Kurosawa nous conte son histoire. Il nous livre ainsi des fragments de la culture nippone traditionnelle dans ce qu’elle a de plus riche, tout en nous faisant bien comprendre qu’elle risque fortement de disparaître si l’on n’y prend pas garde. Pourtant, le réalisateur ne verse jamais dans le pathos et clôt son film sur des lendemains radieux où le vent balaie la plaine d’une douce brise. Alors qu’il ne pouvait être considéré comme l’égal des moines-guerriers, le porteur a cependant appris. Il a mûri au contact de ces hommes d’un autre âge et d’un autre temps, puisant dans les leçons des ancêtres. Il s’éveille alors en pleine nature, comme le premier homme, prêt à vivre en osmose avec la terre.
Qui marche sur la queue du tigre, traversé de toute part par les influences du théâtre kabuki, rend hommage à la tradition, que ce soit dans l’utilisation des costumes et des maquillages, l’accentuation jusqu’à l’extrême des traits de caractère ou la déformation des visages. L’utilisation d’une sorte de choryfée soulignant les actions des héros, les parole scandées à la limite du chant et de la danse, sont autant d’éléments au cœur de la narration. Il y a de la poésie dans l’air, une poésie qui dépasserait presque le sens des mots. On éprouve vite un genre de fascination lascive tout en ayant l’étrange impression d’être étrangers au récit. Et c’est dans ces moments de flottements où l’on se demande ce qu’il est censé advenir que l’on se fait cueillir et que l’émotion pointe le bout de son nez. Le partage du saké entre le moine Benkei et le porteur, rituel en apparence bénigne mais chargée d’une signification différente pour les deux hommes, offre à ce titre une véritable jonction entre la vite terrestre et la vie spirituelle. Une mise à nu, un dépouillement de l’âme qui vaut bien des discours.
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