Viva Deville !
Le 7 avril 2004
Deux siècles d’utopies et d’atrocités en Amérique centrale : drôle, tragique, surprenant, le grand roman de l’échec des révolutions.


- Auteur : Patrick Deville
- Collection : Fiction & Cie
- Editeur : Editions du Seuil
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Française

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Pas étonnant que Patrick Deville, membre de l’écurie Minuit jusqu’ici, soit allé se faire éditer par Olivier Rolin au Seuil, pour ce Pura vida. On voit bien quel cousinage a rapproché les deux écrivains : celui de la bourlingue, des âmes cabossées et des utopistes de tout crin. Tel ce William Walker, émule de Lord Byron, conquistador halluciné partant à l’assaut de l’Amérique centrale avec une poignée de mercenaires, parvenant finalement à se faire élire président du Nicaragua avant d’être exécuté, à l’âge de trente-six ans, sur une plage du Honduras.
C’est sur ses traces que part le narrateur, faisant revivre au gré d’un voyage en zigzag dans un espace-temps de deux siècles, la foule d’agités de l’histoire, de grands rêveurs, de fous furieux, d’ambitieux sans foi ni loi, d’iznogouds à la petite semaine ou de vrais patriotes, qui n’ont cessé d’apporter le fer et le feu dans les sept petits pays formant l’isthme centre-américain. Car tel est semble-t-il le destin de ce coin du monde, les entreprises de ses héros - qu’ils soient anges ou démons, qu’ils soient mus par des rêves de justice ou par l’ambition la plus démesurée -, se terminent toujours dans le sang. De Walker à Trujillo en passant par le Che Guevara, Simon Bolivar, Augusto Sandino, la famille Somoza et bien d’autres figures du même acabit, la galerie de portraits que Patrick Deville dépeint de manière à la fois tragique et burlesque, présente une seule fraternité : celle de l’échec.
D’un café à un autre, d’un hôtel minable à un autre, de lecture de journaux en conversations avec des chauffeurs de taxi, Pura vida fait surgir un foisonnement de personnages allant au bout de leur destin, comme une mythologie antique à l’heure des XIXe et XXe siècles. Haltes nonchalantes, rencontres surprenantes où se conjuguent drôlerie et empathie, ces récits éclatés sont écrits d’une plume très travaillée et tout simplement splendide. C’est un vrai un bonheur d’avoir pour guide le baroudeur Deville qui compresse et dilate le temps avec brio, ose des apartés magnifiques (la lettre à son amour), se fait tour à tour poète (le chant des oiseaux) ou historien (pourquoi le canal transaméricain n’a-t-il pas été percé au Nicaragua ?), pour nous amener à petit pas chaloupés au cœur de deux cents ans chaotiques - rêves les plus fous et atrocités les plus sanguinaires - sur lesquels veille une silhouette tutélaire, coiffée d’une vieille casquette de baseball rouge. Celle de Victor, l’amnésique. La seule victoire à mettre au profit de l’histoire ne serait-elle donc que celle de l’oubli ?
Patrick Deville Pura vida, Vie & mort de William Walker, Seuil, coll. "Fiction & Cie", 2004, 280 pages, 19 €